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1989 : Thu Huang

vendredi 28 janvier 2011, par Sylvie Terrier

Elle rêvait de grandes voiles blanches étirées et clouées sur un sol de sable rouge dans un pays désertique où seuls des chiens maigres et hirsutes se dressaient, raides comme des statues.

— Excuse me !

On frappait à la porte, une voix d’enfant, un anglais parfait. Elle remua sur sa natte de joncs tressés, il faisait encore sombre dans la chambre et la moustiquaire rendait l’obscurité laiteuse.

— Excuse me !

Elle se leva, traversa la pièce en diagonale, sous ses pieds nus le carrelage était tiède. La lumière du jour l’aveugla, il était pourtant à peine six heures du matin.

Une petite fille se trouvait là, sur la dernière marche de l’escalier. Elle lui tendit d’un mouvement brusque une minuscule rose aux pétales tous chiffonnés. Aussitôt la fillette se mit à rire, une fossette se creusa au sommet de sa joue droite. Elle posa la rose sur une feuille de papier d’écolier et la jeune femme remarqua qu’elle s’était dessinée et avait écrit

My name’s Thu Huong.

A compter de ce jour et chaque matin, Thu Huong apporta à l’étrangère un plateau sur lequel elle disposait un verre de café noir, deux bananes vertes et dans une soucoupe blanche un gâteau léger en forme d’étoile. Elle posait le plateau sur la table puis commençait l’exploration de la chambre.

Elle prenait un à un les objets de la jeune femme, un peigne bleu, un tube de rouge à lèvres, un carnet de croquis, cherchait son regard pour qu’elle les lui nomme.

La fillette répétait, ponctuant chaque mot d’un oooh très doux, puis reposait l’objet exactement à sa place. Souvent elle riait. La jeune femme guettait l’arrivée de la petite fossette tout en haut de sa joue.

Elle était légère comme un oiseau et tellement menue que la première fois que la jeune femme la toucha, elle eut l’impression que ses mains ne rencontraient aucune chair, que ses cheveux qu’elle voulait effleurer restaient compacts comme du tissu.

Elle renonça alors à l’approcher, elle la laissait faire, simplement elle la regardait, elle l’observait.

Thu Huong...
Quand elle l’appelait, il lui semblait approcher le langage de l’air, les sons s’échappaient comme deux oiseaux dont les ailes à l’infini se déployaient.

Thu Huong...
Elle s’était recouchée sur la natte odorante, ce matin elle avait envie de garder la fillette auprès d’elle, qu’elle la rejoigne, qu’elle pose sa tête contre son ventre, qu’elles parlent avec la peau mais il y avait toujours cette distance, cette impression d’insaisissable, cette troublante légèreté.

I’am Thu Huaong...
La fillette ne restait jamais longtemps. Elle sautillait jusqu’à la porte de la chambre, enfilait ses sandales en plastique, descendait à reculons les quatre marches de l’escalier. Elle traversait la cour et disparaissait.
Une fois elle s’arrêta, se retourna, fit quelques pas en direction de la chambre puis s’immobilisa. De l’autre côté des persiennes closes, la jeune femme la regardait.

Cette nuit là, elle rêva d’un très beau visage rond et blanc tracé par une main enfantine sur le sable clair au bord d’une rivière, où surgissaient, puissantes, les tiges nues de lotus blancs et roses.