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2005 : Chaï !
Inde, Kerala
vendredi 12 décembre 2014, par
Chai !
Dans la boutique de Swami, il y a beaucoup de mouches et un tout petit banc adossé au mur, usé par les pantalons, poli comme un galet. Et un bruit léger et continu, le sifflement bleuté du gaz qu’ il n ’arrête jamais.
A l’arrière, posé sur la terre battue, un grand wok rempli d’huile, la marmite à beignets. Car Swami fabrique aussi des beignets ronds percés d’un trou, parfumés aux feuilles de kari. Ils accompagnent le thé du matin. D ’un geste vif, Swami les emballe dans du papier journal « pour emporter », mais ils sont meilleurs mangés sur place quand ils sont chauds et croustillants.
L ’air manque dans la boutique en contrejour du soleil levant. Les vélos défilent silencieusement. A l ’ombre d’un immense bagnan, le rickshaw attend ses clients. Ils sont deux assis à l’arrière, le chauffeur et un ami en train de papoter, un verre de thé à la main.
Aller encore un chai Swami, c ’est si bon ! Je saisis le verre brûlant. Porte doucement à ma bouche le liquide crémeux. Sur mes lèvres la mousse tiède éclate. J’aspire le liquide sucré couleur de glaise qui se répand en moi comme avec délice. Pas envie de manger. Boire, boire seulement.
Et se réveiller tout doucement dans les couleurs naissantes.
Swami me regarde et me sourit. Il est content que je me soie assise dans sa boutique. Il me parle avec son sourire. Dodeline de la tête.
L ’intérieur de la casserole dans laquelle il prépare le thé s ’est coloré en rouge caramel, mélange de poudre de thé et de lait. Swami ne la lavera qu’à la fin de la matinée. Les thés successifs la tannent et la tapissent de saveurs. La casserole une véritable matrice.
Swami est chrétien comme beaucoup de gens ici. Le Kerala est un état chrétien et communiste, une curieuse association. Les madones ressemblent à des déesses indiennes, leur auréole devient parure, elles portent des couronnes et des habits de fête, elles embaument la fleur de jasmin. Une approche joyeuse de la religion chrétienne. La célébration de la vie.
Il a de la chance, Swami car il dispose d’une pompe à eau directement dans sa boutique. Ou peut-être a-t-il construit sa boutique à cet endroit, parce qu ’elle s ’y trouvait. En tous les cas, on est sûr que la vaisselle sera bien lavée. Les verres posés à l’envers sèchent tous seuls, pas de chiffon ni de savon, la maison fonctionne avec peu.
Il est presque huit heures. Swami quitte sa boutique et allume une cigarette. Il va rejoindre ses fidèles habitués qui papotent devant le comptoir assis sur des tabourets en plastique. Ils ont les joues creuses et sur leurs cheveux gras, le peigne a tracé des sillons réguliers et profonds. L ’un d’entre eux se lève avec lassitude, remonte son dhoti au-dessus de ses genoux, le noue à la taille. S’éloigne en traînant les pieds.
Neuf heures. La boutique tourne inlassablement. Les mouches, les thés brûlants, le sifflement du gaz sous le réchaud, les rickshaws immobiles. C’est cela l’Inde, une sérénité, un oubli du temps qui passe, un grand cœur où chacun trouve sa place.
O toi qui passe, vient boire donc boire un chaï...