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2004 : Cafés californiens

samedi 23 juillet 2016, par Sylvie Terrier

Washington Square, San Francisco

- Un cappuccino et un verre d’eau s’il vous plaît !
Le café sentait la pizza et la tomate. Bien que petit, il n’était pas du tout enfumé.
Elle s’assit à une table ronde, un peu aveuglée par la lumière vive du dehors qui se reflétait sur les vitres.

Comme personne ne venait la servir, elle se leva et les coudes posés sur le comptoir elle commanda un cappuccino et un verre d’eau.
Le garçon, un jeune homme au crâne rasé et aux lèvres pleines lui répondit par un sourire (son charmant accent français l’avait trahie une fois encore).

Dans le café, les gens parlaient fort comme partout en Amérique.
Elle pensait, San Francisco, ville de la jeunesse, des cheveux frisés, des sandales indiennes et des T shirt blancs. Une façon d’être décontractée, qui donnait envie d’essayer.

La poussette ne passait pas la porte étroite. Ils renoncèrent. Un air de jazz leur effleura la joue.
Une voix d’homme très douce pris la suite de Miles Davis, piano piano… elle venait d’un coin obscur et donnait envie de s’abandonner, de ne plus rien chercher, simplement écouter et être là.

Coffe shop, Pleasantown

La jeune femme blonde était en train de demander un service sur son portable quand un autre client entra, l’oreille collée à l’écouteur. Au milieu du coffee shop, debout, lunettes de soleil opaques enfoncées sur les yeux, il, elle, téléphonaient.

Soleil. Dans le café, la lumière rasante faisait ressortir la poussière qui couvrait les objets décoratifs de la vitrine, un rocking chair et un guéridon miniature recouvert d’une nappe de dentelle sur laquelle on avait déposé un minuscule service à thé.

Drapée dans mes habitudes parisiennes, je me demandais s’il serait possible d’avoir une tasse véritable et une petite cuillère en métal, pas en plastique. Mais non, au coffee shop tout était jetable, rien n’était conçu pour donner envie de rester sur place. Il fallait emporter.
La jeune femme blonde attendait un homme qui n’arrivait pas. Lui ne devait pas connaître l’endroit, donner un rendez-vous dans ce coffee shop n’était pas une bonne idée.
De toute façon, dans cette ville, les rendez-vous étaient impossibles. Seuls les solitaires pouvaient y vivre. On les repérait facilement, assis dans leur voiture, un gobelet de café à la main, plongé dans la lecture du journal local.

Down town, San Francisco

Le jus d’orange était glacé et pulpeux à souhait.
Je m’installais à l’intérieur d’un café-pâtisserie et posais mon verre en carton sur le comptoir en plastique, imitation d’un marbre italien couleur huitre.
Derrière moi, la machine à café ronronnait. Le cappuccino avait ses amateurs.
Je me trouvais Down town San Francisco, à l’intersection de Sutter et Grand Street, dans la profondeur des avenues creusées entre les gratte-ciel.

Les rues étaient ensoleillées mais l’air était frais et il y avait du vent. Cela n’empêchait pas les passants se promener bras nus. Je n’avais pas quitté mon manteau de skaï noir, encore moins mon écharpe de velours, une façon aussi de me protéger d’une ville encore inconnue.

J’avais traversé China town et avais plusieurs fois demandé mon chemin. Sans succès, les gens ne parlaient ni ne comprenaient l’anglais. Il aurait fallu leur adresser la parole en chinois. J’étais frappée par le nombre de personnes âgées, veilles femme pliées sur une canne, visage criblé de grains noirs, vieux maigres et rapetissés qui continuaient à faire leurs courses, même s’ils pouvaient ensuite à peine porter leur panier. Cela ne semblait pas les gêner, ils prenaient le temps et finalement, le temps c’était leur richesse.
Le jus d’orange m’avait glacée. Je commandais un cappuccino.

Starbuck

Dans une zone industrielle au sud de San Francisco, je me suis arrêtée ce matin devant un café Starbuck. J’étais assurée de pouvoir commander un cappuccino. Le café venait d’ouvrir, je repérais des petits fauteuils confortables et m’installais.
- 2 dollars 15 !
Ha oui, payer avant de consommer.
Je retournais m’asseoir. Le café était vide. A travers les vitres fumées je pouvais voir le soleil qui brillait, le ciel paraissait bleu pétrole.
- Capuccino ready !
Je retournais vers l’employée, elle me répondit par un rictus. Mon pot de café, en polystyrène blanc était énorme et fermé d’un couvercle. Il était prêt pour être emporté. Je retournais m’asseoir. Avec maladresse, j’essayais d’enlever le couvercle. Un paquet de mousse s’échappa, le pot était plein jusqu’au bord. L’odeur du café, mêlée à la finesse bien ferme de la mousse me réjouissais. Mais comment atteindre ce délice ? J’aime cueillir du bout de ma cuillère la mousse vaporeuse et la laisser fondre sur ma langue. Chaque cuillerée est différente, au fur et à mesure de la descente vers le fond, le café devient plus épais, le goût plus corsé.

Je me levais et cherchais parmi les éléments disposés en libre service au centre de la pièce, une petite cuillère. Il n’y avait que des bâtonnets en plastique et des pailles. Je gagnais alors le comptoir.
- Auriez-vous une petite cuillère s’il vous plait ?
L’employée me regarda avec un air ahuri. Puis l’embarra la saisit. Elle ne bougeait plus.
- Allez-vous rester ici ? Me demanda-t-elle finalement.
- Mais bien sûr !
Elle se retourna lentement et se mit à fouiller sous le comptoir. Au bout d’un moment, elle me tendit une petite cuillère en aluminium, la seule assurément qu’elle possédait.

Je regagnais mon fauteuil. Calée dans le fauteuil, je regardais la petite cuillère. Elle était on ne peut plus standard.
N’étais-je pas en train de rêver ?

Starbuck, encore

Je retournais au même café le lendemain. La serveuse ne sembla pas me reconnaître.
L’endroit était à nouveau désert.

J’avais retrouvé les petits fauteuils et les tables basses du salon. Une fois assise, je m’aperçus que je n’étais pas seule. Sur un autre fauteuil, près de la porte d’entrée, une femme s’était installée. Une Américaine chaussée de savates. Devant elle, sur la table basse, un soda. Curieusement, elle avait repliée une jambe sur le fauteuil, une attitude intime qui paraissait étrange dans ce lieu public. La femme, maigre, aux gestes nerveux avait un visage aux traits flasques. Elle semblait âgée, mais ne devait pas avoir plus de quarante ans.
Un air de jazz emplit l’espace du café.

La femme attrapa son sac et la jambe toujours repliée se mit à chercher quelque chose à l’intérieur. Elle retira un crayon Khôl noir ébène et un petit miroir. Avec des gestes fébriles, sur ce visage qui s’écroulait, elle essaya de plaquer un peu de maquillage. Elle se redessina des sourcils, noirs et bien arqués. Ensuite, elle passa aux yeux, frotta plusieurs fois son crayon sous les paupières. Le crayon s’empêtrait dans les rides, dérapait dans la chair molle. Elle eut un geste d’agacement désespéré. Avec les doigts puis avec la paume entière, elle effaça, tout. On aurait un enfant devant une ardoise. La peau s’étirait, on s’attendait à ce qu’elle enlève un masque, mais non, le visage restait là, abandonné.

La femme chercha à nouveau quelque chose dans son sac, elle sortit une paire de lunettes de soleil papillon à montures jaune moutarde.
Sauvée.

Souvenirs

Un cappuccino devant moi, j’observais la vendeuse de la boutique d’en face.
Elle se gratta l’oreille et salua un client par dessus ses lunettes d’artiste à monture rouge carmin. Cheveux de neige, une sveltesse d’adolescente, rien à faire dans sa boutique. A l’arrière fond pendaient des montres énormes, de grandes méduses molles qui indiquaient toutes 4h25.

En vérité elle s’ennuyait. Et l’on pouvait facilement le comprendre. Rester huit heures par jour dans cette boutique bonbonnière sous la lumière des néons au sous sol d’une galerie marchande n’avait rien d’enviable. Elle déplaçait pour la centième fois les peluches multicolores, les services à café, les bougies parfumées, les montres réveils, les seaux à champagne en fer blanc, les lampes exotiques, les cadres fantaisie où s’exhibaient des couples enlacés sous le soleil couchant.

Elle avait suspendu dans tout le magasin de gros cœurs rouges en velours. On ne voyait qu’eux dans la boutique, énormes gouttes de sang prêtes à éclater. Son regard finit par se poser sur une paire de JUX Pantoffel, deux énormes pattes de monstre en velours synthétique jaune citron munies de griffes rouge vif. Elle s’imagina un instant sortant du magasin chaussée de telles monstruosités puis se transformant progressivement en être hideux et obscène. Car son magasin ne lui inspirait rien d’autre que cela, du dégoût et de l’écœurement.
Sauf qu’ici on n’était pas au cinéma.

Minestrone

Dans ce café-restaurant italien, il commanda une soupe minestrone. Le serveur en veste rouge et long tablier blanc la lui servit dans une mini soupière blanche.
La soupe était brûlante, il effleura la surface avec sa cuillère où flottait une fine mousseline de bulles. Il avait le dos voûté, des épaules maigres, son menton froncé de rides touchait presque le rebord.
Il aimait la soupe, petite chaleur du passé.

En face de lui, sa femme mastiquait. Elle avait les cheveux gris frisés comme un caniche,
des yeux bruns légèrement en amandes. Elle mastiquait en tirant sa mâchoire vers l’arrière et en jetant continuellement des regards furtifs autour d’elle.
Lui mangeait concentré.

A présent, il enfournait des tagliatelles fraîches, les avalait sans les mâcher. Peut-être n’avait-il plus de dents. Quand il ne resta plus que les légumes, il saisit son assiette à deux mains et la tourna vers lui.

Sa femme regardait un serveur, un grand garçon racé au visage bronzé que l’on imaginait facilement en train de surfer sur les vagues de Miami.

La serviette en papier tomba des genoux de l’homme. Il ne le remarqua pas, restant toujours ramassé sur son assiette. Entre ses escarpins de cuir noir soigneusement cirés, la serviette ressemblait à une mouette démantibulée. Soudain, il la chercha, l’aperçut entre ses deux chaussures. Il se contorsionna, l’attrapa par le côté. Il s’essuya plusieurs fois la bouche puis se moucha, discrètement. Ensuite, il la plia en huit et la glissa dans la poche de son pantalon.