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2023 : Marcher pour soi, Béziers-Lourdes (3)

mercredi 15 novembre 2023, par Sylvie Terrier

15 octobre, Lortet, 28 km

Hier soir j’ai pris un comprimé de Mélatonine et j’ai pu dormir, enfin ! J’aimerais quand même comprendre pourquoi je ne dors pas en randonnée, pour quelle raison je développe cette espèce d’hyper activité, physique comme mentale.

Il a plu fortement toute la nuit et au matin la campagne est trempée. Finie la vue sur les Pyrénées, les avants monts sont coupés par une nappe de brouillard.
Nous contournons la cathédrale de Saint Bertrand de Comminges qui solitaire sur son éperon rocheux semble nous adresser un dernier adieu.

Le chemin devient glissant, les feuilles au sol ressemblent à des étoiles d’or. Nous ramassons des noix, grâce à la pluie et au vent elles ont chu, bonheur des pèlerins.

Nous arpentons une nature verte et détrempée. Dans un village, chorale de cloches et de clochettes, au détour d’un virage une jeune femme surgit, bottée de cuir, flanquée de deux chevaux blancs. Chèvres et cabris suivent tout sonnaillant. Grand sourire de la jeune femme derrière ses lunettes.

Didier m’entraîne dans un raccourci GPS et nous nous perdons dans la forêt humide, traversant ronces et fougères géantes. Seule, je serai restée sur le balisage du chemin. Je sens mon cœur se serrer et me raidis. Non, ne pas regretter, accepter cette suite de chemin et conserver intacte la joie de cheminer.
Déjà hier soir le silence de Didier m’a rattrapée, sa présence silencieuse, mes mots qui ne rebondissent pas. Je pense alors que je marche pour moi, que je n’ai pas besoin de porter ce poids, et ce faisant je m’en libère.

A part cela, nous ne rencontrons personne sur le chemin, hameaux déserts, de temps en temps une ferme au creux d’un pré. Le guide parle de "ruralité profonde" et c’est bien le cas.

L’architecture change aussi, maisons aux toits d’ardoise et murs de pierre, nous traversons ce paysage et après 900 mètres de dénivelés, un fois passé le pont de Lortet, nous attaquons notre dernière grimpette pour gagner notre chambre d’hôte du soir, chez Brigitte et Jean Claude.

Brigitte, la soixantaine, cheveux courts d’un noir corbeau a envie de parler. Elle nous raconte un peu sa vie mais ce soir "c’est rugby !". Comme nos hôtes ne servent pas de repas, ils proposent de nous conduire jusqu’à un restaurant d’insertion à 11 km du gîte. Jean Claude s’occupe de l’aller, Brigitte du retour. Chacun durant le trajet en profite pour se livrer un peu. Jean Claude, enfant du pays a commencé par bourlinguer jusqu’en Afrique, puis il est revenu à sa passion première, l’élevage de chevaux lourds. Brigitte raconte ses marchés autour de Reims, la vie en caravane et ce gîte qui lui permet de prétendre à une petite retraite.

Au matin Brigitte nous attend avec un délicieux petit déjeuner et un pot de café. Elle nous offre quatre œufs des poules de son jardin.

16 octobre, Moulin des Baronnies, 22 km

Le soleil et le beau temps sont revenus. Ce n’était pas vraiment la météo prévue, aussi je reçois cette journée comme un cadeau. Qui plus est, j’avais décidé au matin de prendre le temps et de savourer chaque instant. La fin du périple approche, je sens une grande quiétude en moi à l’idée que le chemin se termine à Lourdes.

L’étape est magnifique à travers des forêts de hêtres et chênes séculaires. Nous montons et descendons sans arrêt, les dénivelés s’accumulent. Hameaux et fermes isolées, pâturages, châtaigners en majesté et pour finir une marche rafraichissante de long de la rivière l’ Arros jusqu’au Moulin des Baronnies, notre gîte du soir.

Les Baronnies forment un ensemble d’une quarantaine de villages. Ils se situent entre Bagnères de Bigorre et Lannemezan, à quelques 40 kilomètres de Tarbes. Dans cette partie des Hautes-Pyrénées, la démographie doit être de quelques habitants au kilomètre carré. Le ravitaillement en ce mois d’octobre est inexistant.

Didier fouille ses cartes et tombe sur une épicerie "chez Claudette" à Laborde. Cela nous oblige à faire un petit détour mais qu’importe. Je promets à Brigitte de lui envoyer les informations pour son gîte car elle ne connait pas l’épicerie.

Voila, le bonheur se trouve chez Claudette. Elle fait tout : épicerie, bar, tabac, dépôt de pain, produits locaux. Je prends des photos. Midi approchant, Claudette nous invite à casser la croûte sur sa terrasse, avec ses chats. Elle nous offre le café et en partant un gros caramel carré, celui-la même de mon enfance. Car bien sûr, Claudette vend aussi des bonbons.

En l’espace de quelques instants, nous nous sommes fait une amie. J’envoie les photos à Brigitte qui répond aussitôt.
- Merci beaucoup pour ce petit reportage qui va m’être très utile. Bon chemin !

Nous repartons alourdis (bouteille de vin, pain, boîte de cassoulet pour le dîner du soir) et le cœur léger.

Cette marche dans la nature provoque l’arrêt du temps. Je pense à nouveau à la méditation. Etre ici et maintenant dans ce paysage. Ressentir chaque couleur, écouter les feuilles et les glands tomber. Suivre des yeux un papillon, photographier une rose, ramasser des noisettes, croquer l’amande et en avoir plein les dents.

Des sensations qui massent, qui entrent en moi et me traversent et se transforment en bien être. Cette étape est vraiment l’étape du bonheur et Didier le ressent tout autant.

- Ah vous êtes les premiers pèlerins que je rencontre !
Le cri du cœur de Michèle, chevelure rouge feu et large sourire. Michèle est arrivée avant nous dans le gîte. Elle se repose au chaud sous les couvertures.
Naturellement nous lui proposons de partager notre bouteille de vin au dîner. Je crois que ce soir nous avons rendu une pelerine très heureuse.

17 octobre, Bagnères de Bigore, 26 km

Départ du gîte dans la puanteur de la fosse sceptique.
Nous purifions nos narines grâce à la fraicheur de la forêt.
Par dela les murets, les roses s’échappent des jardins fermés. Roses roses, roses jaunes, roses rouges, personne pour les tailler.

Nous suivons L’ Arroz, observant les détours effectués par l’homme pour alimenter les moulins aujourd’hui presque tous disparus.

Bouquets de noisetiers, fougères, herbe électrique, boue. Nous cheminons à l’ombre de l’ubac. Je marche les mains dans les poches et n’arrive pas à me réchauffer. Première montée jusqu’à Labastide. Les Pyrénées apparaissent, bleutées dans le ciel blanc.

Et ensuite, on ne cesse de monter et descendre d’un hameau à un autre. Ils ne sont pas vraiment accueillants ces hameaux où nous ne trouvons ni fontaine ni banc pour nous reposer ou casse croûter. Les rares automobilistes qui passent nous regardent, accrochés à leur volant.

En pleine montée heureusement, un pommier providence nous a offert des pommes sauvages mûres à souhait. Belle aubaine pour prendre une pause et déposer les sacs. Nous avons mangé les pommes sur place.

Dernière grande montée de la journée. Depuis un moment le pic du midi de Bigore nous accompagne. Arrivée dans les prairies des Pyrénées et les alpages, sonnailles des moutons et des vaches, Le Pic du midi semble tout près.

Une bonne descente dans les forêts de hêtres et Bagnère enfin !
Accueil chaleureux à la halte Saint-Jacques, ô ce sourire bienveillant sur ce visage âgé, qui me dit bonjour sans prononcer un mot et d’un coup dissipe la fatigue.

Nous retrouvons Michèle au gîte et la soirée ressemble à celle d’hier autour d’une bouteille de vin partagée. Elle nous a bien fait rire Michèle, elle est arrivée avant nous alors que nous étions devant. Par quelle miracle ? Elle a demandé son chemin à la sortie de la forêt à un automobiliste et ce dernier l’a gentiment déposée au gîte.

J’espère bien dormir.
Nos deux lits bordés d’une couette à fleurs
Une lampe de chevet, le silence
Fenêtre ouverte sur le nuit
Simplicité de cette chambre

Dans ce dénuement
Qui appelle au dépouillement de la pensée
Et que j’aime tant,
Malgré la fatigue,
Impossible de dormir.
Iel revient pendant l’insomnie
Et l’effoi alors me saisit.

18 octobre, Lourdes, 24 km
Ce matin nous marchons le long de la nationale. Ciel gris, bitume, odeur des gaz d’échappement. Je me dis que c’est le bon jour pour finir ce chemin, qu’il ne laissera pas de trace de regret. Pluie fine, je sors ma cape de pluie pour la première fois.

Manque de lumière, sombres mes photos
Route sous les châtaigners
Des hameaux, une ferme
Les kilomètres s’enchainent.

Et puis soudain, la montagne
Et me voici obligée de m’arrêter
Entrée dans la matrice d’une nature transcendante
Qui appelle au silence
Comme la poésie.

Nous poussons la barrière de l’alpage.

Des fougères roussies, un troupeau de moutons marqués de bleu, les prairies dénudées, les pentes épaisses. Bleu des moutons, bleu du ciel qui de temps en temps apparait par une trouée. Lumière capricieuse qui rend le paysage impossible à photographier. Comme une invitation à intérioriser ce moment, dans l’intimité de notre mémoire.

Pic nic au cœur de cette beauté, contemplation.
Le temps à nouveau s’évapore. Une consécration pour toutes ces heures, tous ces jours à marcher.

Puis commence la descente vers Lourdes dont on aperçoit les toits par une brèche sur l’horizon.
Bitume à nouveau. Nos pas, dociles.
Une belle allure, envie d’arriver.
Non pas au gîte mais à la basilique Sainte Marie avec nos sacs, notre fatigue, nos habits gris.
Grise la basilique, noir le ciel.
Ici aussi cette absence de lumière.

Retrouvailles avec Jean-Louis au gîte de la ruche. Accueil sur sa terrasse devant la basilique qui s’illumine. Ensuite seulement nous pourrons rentrer et déposer notre sac.

19 octobre, Lourdres-Béziers en train, 3 heures

J’ai été contente de retrouver Jean-Louis. J’aprécie le savoir et la profondeur de cet homme qui peut répondre à mes questions. En aurais-je donc toute ma vie ?

Par exemple, la première fois que l’on arrive à à Compostelle, si cela est comme je le pense une initiation, est-il besoin d’y retourner ?
Jean-Louis : la première fois si tu as fait ta transformation, plus besoin d’y retourner. Mais si ta transformation est incomplète alors oui, il faut en quelque sorte "recommencer". Reprendre l’opération du retournement des cellules (il utilise cette expression, moi je dis, se nettoyer). Se trouver et laisser de côté l’ancien moi, l’ancienne vie.
Et Jean-Louis de raconter cet homme qui un jour est arrivé chez lui de retour de Compostelle. Il pleurait. Pendant 3 jours il a pleuré en disant seulement "je ne veux pas rentrer".
Cette nouvelle vie, c’est à nous d’en faire quelque chose.

Avec l’âge, Jean-Louis (80 ans bientôt), a senti que le temps de la transmission était venu. Il a réuni ses deux fils et leur a remis un objet symbolique, la MALIKA, le baton de berger basque.
- Mais pourquoi à tes deux fils et pas seulement à l’aîné ?
L’aîné vit aux Etats Unis et le second en France. Il fallait deux territoires, deux pays pour poser la suite.
En racontant sa vie, Jean Louis m’aide à poser la mienne.

Ce matin comme nous avions du temps, je voulais trouver un moment pour lui parler de Iel. Car il a évoqué hier les jeunes d’aujourd’hui qui ne savent plus qui ils sont, hommes, femmes ? Aussitôt cette question évoquée, j’ai senti les larmes qui me montaient aux yeux. Mais je n’ai pas eu l’occasion de lui parler. Peut être vais-je lui téléphoner ce soir ?
Je n’ai pas non plus trouvé le bon moment pour le remercier de ce qu’il fait et de qui il est. Le voila pressé de partir, presque stressé, et nous, nous voulons retourner à la basilique, une nouvelle fois.

Train vers la maison, lent, avec changement à Toulouse. Ciel gris, comme neutre pour laisser reposer ce chemin accompli.
Je crois que le mot de ce chemin sera Transformation. En somme je l’accepte quand il s’agit de transformation intérieure mais pas quand il touche à l’intégrité physique.
Sa transformation, que Iel nomme transition, passe par un acte chirurgical que je trouve violent.
Ma transformation passe par une expérience corporelle, la marche, que je trouve naturelle.

Je reprends la définition du mot transformation (Larousse) :
1 Action de transformer (conversion)
2 Passage d’une forme à une autre (métamorphose)
3 Modification (renouvèlement)

C’est peut être en faisant le lien entre ma transformation sur le chemin et la transformation physique souhaitée par mon enfant pour être heureux que je finirai pas l’accepter.

Dire aussi que j’ai adoré marcher seule, poussée hors de ma zone de confort, j’ai dépassé ma peur de me perdre et j’ai retrouvé un temps de ma vie où je voyageais seule et sans crainte. Comme si finalement ce passé je le fuyais, ou que j’avais décidé qu’il n’était plus moi. La solitude pousse au dépassement, à la rencontre, au soin de soi. J’ai fait attention à chacun de mes pas quand je marchais seule dans la forêt, j’étais concentrée. J’ai parlé à mon ombre, je me suis encouragée.

Les paroles de Bernadette "marche pour toi, enfin ! " me sont revenues comme un mantra. Je l’ai écoutée. J’ai été au fil des jours de plus en plus déterminée et même si Didier ne m’avait pas rejointe, je seraisallée jusqu’à Lourdes, car là était mon chemin.