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2023 : Marcher pour soi, Béziers-Lourdes (2)

mercredi 15 novembre 2023, par Sylvie Terrier

9 octobre, Le Mas d’Azil, 38 km

Je marche vite et j’y vois mal. J’ai besoin de mettre mes lunettes de vue pour trouver mon chemin. Je ne sais comment gérer le GPS et les marques du GR qui jalonnent la sortie de la ville. Je me trompe plusieurs fois, les deux tracés n’étant pas en phase. Mon sac s’est allégé, j’ai laissé à Didier au moins deux kilos, toutes les affaires rajoutées au dernier moment sont reparties à la maison avec lui.

Je marche vite, je veux quitter la ville, retrouver la nature. Au premier carrefour, je tombe sur un autocollant de la via Magdalena, le tracé de Céline, une pelerine que je connais et qui a décidé de marcher de Paris à Jérusalem sur les traces de Marie Madeleine. En voyant ce signe, je me dis :
- Tu rejoins le clan des Maries Madeleines qui marchent seules.
Et puis je repense à ce que m’a dit Bernadette :
- Marche pour toi !
Et puis j’ai déposé Iel.

Alors je marche et j’attaque fort la première montée dans la forêt. Malgré ma tête toujours embrouillée, mes jambes avancent et me portent à merveille. Je vais sans m’en rendre compte parcourir 38 km à 5.1 km heure.

Que dire de cette étape. J’étais dans mes jambes et j’étais bien. Je me suis encore perdue (jusqu’à partir dans le mauvais sens) et j’ai stressé à en avoir mal au ventre. L’étape était agricole, à travers monts et champs, hameaux et chiens aboyeurs heureusement attachés. Du bitume essentiellement. D’où la rapidité pour avancer.
Je me suis arrêtée un court instant vers 13h pour pic niquer à l’ombre d’une église et j’ai fait le plein d’eau au cimetière.

Le chemin a été généreux avec moi, il m’a offert des prunes et des pommes et à Montégut j’ai rencontré Michel sur sa tondeuse à gazon qui m’a indiqué le chemin. Gauche Droite Gauche Gauche comme un cadeau à déplier. Et finalement ce raccourci était fléché de jaune et je ne me suis pas égarée.

J’ai fait le détour pour voir le lac de Filleit, un lac artificiel sans grand intérêt et je suis arrivée au Mas d’Azil par la nationale après avoir voulu remplir ma bouteille d’une eau de source qui coulait si lentement que je n’ai pas eu la patience d’attendre.

La halte Saint Jacques proposée par le temple protestant était merveilleuse. J’ai été accueillie par Yvonne qui m’a tout expliqué, j’étais dans une maison et la chambre contenait 5 lits dont deux doubles. J’ai mis du temps avant de choisir le mien.

J’ai ouvert les fenêtres sur le jardin et le temple, pris le temps de m’assoir à la table, allumé une lampe de chevet. Pris une douche.
J’ai senti mes jambes fines et musclées, les pieds à peine sensibles.
Tout était à sa place. Pour écrire, se retrouver, écouter le silence dehors et en soi.

Ensuite je me suis dit qu’il fallait que je mange et bien même. Que je fasse des courses pour les jours suivants. Je commençais à monter dans les villages de L’ Ariège et il n’y aurait bientôt plus de ravitaillement, à part chez mes hôtes.

Il y avait une bonne ambiance dans cette ville, les gens proches et attentifs, ouverts aux autres. Le Proxi proposait quantité de produits locaux, j’ai acheté du pâté de lièvre et de sanglier, des œufs frais regrettant de ne pas pouvoir m’alourdir avec un pot de miel et un bocal de cassoulet. Yvonne m’avait gentiment indiqué qu’il y avait deux pots de confiture maison dans le frigo pour les pèlerins, il ne me manquait que du bon pain.
Le sourire du boulanger, sa joie de faire ce métier.
J’achète un pain, il sent bon la boulange, je le lui dit :
- Vous passez tard, mais si vous revenez demain matin, vous verrez comme ce sera beau !
Je lui promets de repasser.

10 octobre, Montjoie, 31 km

J’en ai mis du temps pour quitter le gîte... Levée à 7 heures, je n’ai pas pu partir avant 9 heures. Je voulais tout laisser nickel, cuire du riz et des œufs, prendre des photos de la fresque de la petite chapelle sous l’appartement, écrire un mot dans le cahier et prendre un bon petit déjeuner.
Le temps n’existe plus quand on vit l’instant présent.

Je n’ai pas très bien dormi. C’est devenue une habitude, je fais un cycle et puis je me réveille. Ensuite, je dors en pointillés. Mais quand je me suis réveillée, je me suis sentie heureuse, plutôt sereine. J’ai tâté mes cuisses, mon corps affuté, j’ai glissé la main sous l’oreiller et je me suis rendormie. Pas de mal de tête ce matin, au contraire, une sensation de lucidité.

Et voila Yvonne qui débarque pour faire le ménage, faut que je file !
Le passage par la grotte préhistorique ne me laissera pas un souvenir transcendant, au contraire je le trouve éprouvant car il me ramène dans le monde des voitures et de la vitesse.

Je préfère marcher dans la forêt, m’enfoncer dans les tunnels de verdure, traverser les champs (pas de sécheresse ici). Les chevaux et les vaches me regardent passer, je ne rencontre personne.
Je trottine et Didier me suit à distance sur wikiloc. Il me dit, c’est comme si je marchais avec toi. Un grand soleil brille, je ne ressens pas la chaleur car la forêt me protège.

A midi 15 exactement, en ce dixième jour de marche, je croise mes premiers pèlerins, un couple de belge. Nous nous retrouverons au gîte ce soir à
Montjoie chez Roland.

Je communique avec Didier qui semble s’être pris en main. Il a renouvelé sa pharmacie, jeté chaussures et chaussettes. Ses ampoules ont commencé à sécher mais il ne peut marcher qu’en tongs. Il m’annonce qu’il compte me rejoinde à Saint Bertrand de Comminges, dans 4 jours. Ce soir je réserve à l’accueil familial de Saint Bertrand de Comminges une chambre pour deux.

Rien ne fonctionne dans la maison de Roland. Il a une fuite d’eau qui le condamne à couper l’alimentation. Le frigo est en panne, il y a du désordre partout. Il n’y a pas de chauffage, il ne faut donc pas passer ici en hiver. Mais l’homme est adorable, sensible, secret. Il ne mangera pas avec nous ce soir, je mange tard dit-il et la nuit, il part se balader avec son fils dans le village.

Comme je suis arrivée la première, j’ai reconnu la maison dans le village à l’étendoir garni de draps. Je l’ai aidé à les plier. Ensuite il est allé préparer le repas et nous ne l’avons plus vu. Il nous a installé dans la salle à manger en désordre, nous avons bien mangé, le repas était modeste mais bon et préparé avec amour. Il a souri quand je le lui ai dit.

Au matin, il n’y avait pas d’eau dans les toilettes ni pour se laver les dents. J’ai expédié le petit déjeuner en mangeant dans la chambre ce que j’avais (du pain, de la pâte à tartiner et les pommes du chemin) et puis je suis repartie, j’avais envie de retrouver ma liberté.
En remerciant Roland pour son accueil ce dernier m’a dit :
- Merci pour ta sympathie !

11 octobre, Argein, 24,5 km

Je reprends la route et un kilomètre plus loin, j’arrive à Saint Lizier. Son église, son cloître, le palais des évêques. Je prends le temps d’une petite visite et déambule, sans rencontrer une âme.

Au détour d’une ruelle, je tombe sur Roland au volant d’une vieille voiture. Polaire bleue, sourire un brin nostalgique (il doit être timide). A sa droite, sur le siège passager se trouve une cagette remplie de salades et autres courses.
- Tu es allé faire le marché ?
- Le marché c’est le magasin.
J’ai l’impression qu’avec l’argent gagné la veille il est allé faire le plein.
- A bientôt !

- Ah, mais on ne va pas pouvoir vous recevoir, on est en pleine fabrication de jus de pomme, et en plus je vais rentrer tard, on ne pourra pas vous faire à manger !

La voix de Guillaume au téléphone, à la ferme des Vignats, où je veux absolument aller ce soir. J’insiste. Pas de souci je suis autonome, j’ai juste besoin d’un toit et d’un lit et de plus je peux vous aider !
Guillaume accepte tout de suite, le mot autonome a fait son petit effet.

Cette étape très solitaire me propulse au cœur de l’Ariège. Je suis immédiatement emballée par cette nature prodigue et verte, ses hameaux aux toits d’ardoise, ses ruisseaux et sources encadrés de fougères.

Cette étape sera pour moi inoubliable, non pas à cause du paysage mais par mon arrivée dans la forêt à la ferme des Vignats. Des châtaigners, des chênes, un enclos qu’il faut enjamber et une vieille maison en ruine. A l’intérieur des voix, je suis arrivée. Guillaume me conduit à la cabane où je vais dormir. Une grand cabane faite de paille, de terre et de bois avec balcon où rien ne manque.

Il raconte. Quand ils ont acheté le domaine, ils ont vécu dans une toute petite maison (le cabanon du bonheur) ; puis ils ont construit cette cabane. Un enfant est arrivé. Pendant 5 ans ils ont vécu dans cette maison, chauffant l’eau avec un poêle à bois, produisant eux-mêmes leur électricité. L’objectif était clair, vivre en totale autonomie. Ensuite ils se sont lancés dans la construction de leur maison actuelle, retapant une ancienne grange en pierre, y ajoutant la même surface en bois. Non seulement leur travail est colossal et remarquable, mais ce couple est adorable, ouvert. Une fois à table, les échanges fusent avec les deux filles, Luna 16 ans et Hanaé 11 ans. Tout comme leur maman Severine, elles sont passionnées de livres, de lecture et de bibliothèque. Nous échangeons longtemps et la soirée passe autour d’un délicieux repas issu de leur jardin. Le père de Guillaume est venu de Bretagne pour aider à la fabrication du jus de pommes (3000 litres par an) , nous serons 6 à table et le temps file et quand je regagne ma cabane, il me semble avoir vécu un autre temps, avoir conversé avec des êtres qui poussent à la transformation.

Nuit, je me réveille comme j’en ai à présent l’habitude. Il fait noir dans la cabane. Une chouette hulule, des loirs jouent avec des glands sur le toit. J’écoute le silence, allongée sur le dos.
Je me sens extraordinairement bien.
Je me lève pour voir la nuit, à travers les branches touffues des arbres, un morceau de ciel apparait. Il est lourd d’étoiles.

Au matin, j’ai du mal à quitter la cabane. Je me suis levée à 7 heures, l’aube naissait à peine. J’ai dit que j’étais autonome pour mon petit déjeuner, j’étale devant moi tout ce que je possède. L’évidence me saute au yeux, je n’ai que des produits manufacturés. Une boîte de nescafé, un pot en plastique de pâte chocolatée, deux boîtes de thon. Heureusement j’ai encore le bon pain du boulanger et des noix ramassées en chemin, je les casse avec la boîte de conserve et les pose sur mes tartines.
Je prends beaucoup de photo, je ne veux rien oublier de cet endroit, les détails, les textures, l’ingéniosité, le savoir faire. Même le loquet de la porte a été fabriqué en bois.

A présent, je suis assise à la table ronde et j’écris. Je prends conscience de ma respiration. Je regarde par le fenêtre. J’écoute. Je suis bien ici, à ma place, rien ne m’oblige à partir vite, c’est un temps pour moi, rond et doux comme un massage.

Et ce matin, je parle avec Séverine, de ses filles, des livres, de sa vie, ce qu’elle a appris, (le métier de crêpière et de naturopathe, entre autre), ce savoir qu’elle trouve dans les livres et qu’elle a transmis à ses filles. Luna envisage de devenir bibliothécaire.

9h45. Une dernière photo (je suis restée seule dans le domaine) et me voila partie.

12 octobre, Portet d’Aspet, 20km

Le paysage de montagne est d’une beauté pure, souveraine. Il fait toujours aussi beau, ciel bleu sans le moindre nuage. Bientôt la brume bleuit les montagnes qui semblent plus lointaines. J’observe les sommets roussis, l’automne commence par les hauteurs.
Je cueille deux pommes pour mon pic nic.

Curieusement, les gens des montagnes viennent vers moi pour discuter.
- Vous marchez d’un bon pas, vous venez d’où ?
Cet homme rencontré au hameau de Buzet a envie de causer.
Il dit qu’ils restent 34 âmes dans ce village, dont une centenaire, mais ses jours sont comptés. L’homme qui s’est exilé à Paris prend plaisir à partager son érudition.
- Savez- vous qu’à Saint Bertrand de Comminges du temps de son apogée, on disait que les chats pouvaient, de gouttière en gouttière arriver jusqu’à Toulouse ?

Grace au raccourci indiqué par Guillaume, une fois gagné le hameau d’ Agirein, je poursuis en restant sur la route départementale au lieu de suivre le GR qui me fait redescendre dans la vallée... et remonter quelques kilomètres plus loin. En chemin j’achète un fromage de chèvre à une productrice locale. J’ai aussi deux nouvelles pommes pour le pic nic de demain.

Et me voici à Aspet ! Michèle chez qui je vais loger m’avait prévenue :
- C’est la première maison du village, il y a un nounours avec un sac à dos sur la boîte aux lettres.
Impossible de se tromper. D’ailleurs Michelle est sur place et me reconnait tout de suite :
- Voilà ma pèlerine !
Elle m’invite à m’assoir à l’ombre sous la tonnelle en compagnie de quelques amis.
- Que veux-tu boire, bière, coca, sweeps, sirop, Perrier ?
On se dirait au café. La générosité, le tutoiement tout de suite. Je pose mon sac et mon chapeau, je savoure le moment de l’arrivée.

Michèle est un personnage. Quatre compagnons, une société coulée en 1992 à Toulouse.
- Je suis venue à Aspet les huissiers au cul !
Son dernier compagnon va et vient dans la maison, silencieux, placide, un peu absent. Edmond est isérois, il est venu en Ariège pour le travail. A les voir tous les deux, elle super active et lui timide, je ne peux m’empêcher de penser à notre propre couple.
Michèle m’invite à partager le dîner avec eux. Tu auras un tian aux légumes et une soupe du jardin, me dit-elle joyeusement. Et pour le dessert, nous confectionnons ensemble une tarte aux pommes.
- Tu vois, je fais comme toi, je ramasse des pommes en me promenant (elle a vu mes pommes glissées sur le côté de mon sac à dos).

Je mets la table et saupoudre la tarte de cannelle. Eux ont l’habitude de dîner en regardant la television mais les nouvelles, la guerre entre Israël et le Hamas, sont tellement terribles que finalement Edmond se saisit de la télécommande et éteint tout.

Tant mieux, cela redonne la parole de Michèle qui raconte l’histoire du café "Chez Jojo", la bar du village qu’elle a monté et animé pendant 17 ans. Avec ce Jojo, beau garçon, faiseur et défaiseur de ménage, joueur d’accordéon, elle semble avoir passé les plus belles années de sa vie. Elle sort des albums de photos, elle raconte, elle revit ces moments où ils s’amusaient et festoyaient. L’âge venant, Michèle a dû se résoudre à vendre le café et Jojo est mort.

A présent rien n’est comme avant. Celle qui a repris l’affaire, "Elle ferme le jeudi". La nostalgie envahit Michèle, elle n’est pas loin de verser une larme. Et de rajouter, on était tout le temps ouverts et à Noël on faisait une fête pour les vieux qui restaient tout seuls.
- De toute façon, les vieux aujourd’hui, ils sont tous morts.

La conversation part sur autre chose. Même si je n’ai pas sommeil, il est temps d’aller dormir. Je repense à la manière dont Michèle m’a présentée ma chambre.
- Côté cloche ou côté coq ?
Autant le salon et la cuisine sont en désordre faisant ressembler l’endroit à une remise, autant les chambres sont dépouillées et d’une propreté absolue.
J’ai choisi côté cloche, avec la vue sur le village. Et comme je suis seule pelerine ce soir, je profite de la fenêtre ouverte de la chambre côté coq pour y poser mon fromage de chèvre qui vraiment sent trop fort pour que je le laisse dans mon sac à dos cette nuit.

13 octobre, Saint Pe d’Aspet, 26 km

J’ai fait part à Michèle de ma gêne pour le gîte suivant, un tarif augmenté de 5 euros et une voix pas très sympathique me faisant douter de l’esprit pèlerin. Michèle m’a répondu :
- Va chez Frédéric, je lui envoie un texto, il ne répond pas au téléphone.
Et j’ai fait ainsi, après avoir annulé ma réservation à Cazaunous.

Avant de partir, Michèle m’a aspergée de répulsif contre les tiques. J’ai eu l’impression qu’elle me bénissait.

Marche automnale. Par l’altitude et trois cols franchis, dont le col du Porte d’Aspet (1069m). Les feuilles et les châtaignes tombent. Je marche vite et traverse la forêt d’Espugalan sur 15 km. Je fais très attention, je suis seule, en pleine forêt, je prends soin de moi. Paysage de fougères, de hêtres et ces maudites araignées volantes qui me font gratter de partout.

Je pic nic tard, une fois descendue de la montagne, une fois dans la plaine. J’ai du mal à trouver un champ non clôturé. Un cheval hennit derrière la haie, les araignées volantes continuent de m’assaillir et semblent affectionner particulièrement ma nuque. Pas le temps de me reposer, j’ai envie d’arriver à Saint Pe et je ne regrette pas ce changement de programme. Le village est magnifique et le gîte de l’affenage pour le peu étonnant. J’entre, il est ouvert. Je m’instale dans le dortoir sous les toits, je suis seule.

Sur mon chemin, je n’ai pas croisé un seul randonneur, seulement un cycliste fatigué et quelques motards bardés de cuir.
J’ai une belle soirée devant moi. Je décide une fois douchée de visiter le village et de trouver un petit restaurant pour le soir. Et puis peut être aurais-je des nouvelles de Fréderic.

Quand on chemine seule, on a du temps. Du temps pour écrire (il m’est arrivée de m’arrêter en pleine forêt pour noter une pensée). Du temps pour méditer. Car marcher est une médiation. Quand je marche, je ne pense à rien d’autre, je suis intensément reliée à l’instant. Une pensée et je trébuche. Le pas est juste quand il n’est que pas.
Des fois je parle à mon ombre ou à moi même. Je m’encourage.

Se relier à la beauté de la nature.
Vivre avec la nature signifie la connaitre, savoir cultiver, élever, construire, devenir autonome. Travailler pour sa survie, ne dépendre de personne.
Michèle : 4 moutons, des poules, une ruche, un jardin, des amis, ça occupe !
Guillaume et Severine : des moutons, des ânes, des ruches, un jardin, des pommes, 4 maisons, une roulotte à crêpes, deux enfants, ça occupe !

Cultiver le beau, ne pas céder à la peur.

J’ai compris comment fonctionne Frédéric. Par SMS seulement. Michèle avait raison, il ne répond pas au téléphone.
J’écris : Comment puis-je faire pour vous régler ?
Il répond : Laissez un billet de 20 € sous le Saint Jacques en bois dans la cuisine
J’écris : Comment puis-je avoir un tampon sur ma crédenciale ?
Il répond : il y a un tampon sous la fenêtre
J’écris : Et pour le petit déjeuner ?
Il répond : il y a du café et quelques choses pour vous, Estelle va arriver.
Je n’ai jamais rencontrée Estelle et j’ai trouvé du café, du beurre et du pain dans la cuisine. Au matin, j’ai même rencontré Carlos, qui semble habiter sur place (je me demande alors si je n’ai pas pioché dans ses provisions) mais il me dit qu’il est ici avec sa copine seulement pour le week end.

En partant, j’ai envoyé un message de remerciement à Fréderic lui disant que j’ai bien aimé ce gîte autonome, il ne m’a pas répondu.

Je dors de moins en moins bien. Ce soir je n’arrive pas à m’endormir. J’ai trouvé chez Frédéric une bibliothèque magnifique avec des ouvrages de théologie, les écrits de Lacan et quantité de romans. J’ai lu la moitié de "Kilomètre Zéro" mais rien à faire, le sommeil ne vient pas. Alors j’ai regardé des vidéos sportives sur mon téléphone et quand j’ai eu les yeux tout secs, je les ai fermés. Pour une heure ou deux car ensuite je me suis réveillée. Je me gratte, il doit y avoir des acariens dans la literie. Ou bien je suis trop nerveuse.

Le fait de marcher seule me met dans un état d’excitation intense. A l’arrivée de l’étape, je ne suis pas fatiguée et puis une fois la douche prise je sens tous mes sens en alerte. C’est très agréable cette sensation d’acuité et de dépassement mais nuisible au moment de l’endormissement. Je n’arrive pas à lâcher prise. Quand je m’endors tout de suite c’est pour 3 heures. Je fais un cycle et ensuite c’est comme si j’étais prête à repartir, muscles, nerfs, mental mis sous tension.

14 octobre, Saint Bertrand de Comminges, 20 km

Ce matin, je commence l’étape par une sacrée montée dans la forêt humide. Je suis seule, le ciel est couvert, la forêt semble plus sombre, augmentant mon sentiment de solitude. En quatre heures, je croise deux chiens perdus (qui s’enfuient en me voyant), 2 VTTistes (j’ai d’abord cru à un sanglier), quelques champignons. Des glands tombent autour de moi, des oiseaux furtifs passent d’arbre en arbre, les photos ne donnent rien.

J’arrive dans la plaine de la Garonne, je retrouve les villes, les voitures, l’autoroute. J’avais oublié tout cela et je me sens un peu déboussolée.

A Loures, je cherche des yeux la basilique de Saint Bertrand et ne la trouve pas. Elle aurait été un bon repère. Je trouve par contre une pharmacie et je décide d’entrer pour acheter de la mélatonine. Les yeux rougis j’explique mon problème à la pharmacienne qui semble ignorer ce genre de situation. Je lui explique que j’utilise la mélatonine pour me recaler suite à un décalage horaire, j’ai en effet beaucoup de mal à retrouver mon cycle de sommeil.

C’est à ce moment précis que Didier me téléphone pour me dire qu’il aura du retard pour notre rdv à St Bertrand de Comminges car il a pris un rallongi (contraire du raccourci dans notre jargon) le long de la Garonne. Il me donne rendez-vous devant une petite chapelle avant la cathédrale. Bonne idée, nous casserons la croûte ensemble.

Mon GPS me fait prendre un chemin qui n’existe plus. Du coup j’arrive en retard à la chapelle. Et je le vois, au bout d’une allée de platanes, sa casquette bleue, son grand short, ses grands bras. Je lui réponds en levant mes bâtons vers le ciel. Nous nous retrouvons, grand moment d’émotion.

Je suis contente de le retrouver.
Je parle, je parle et je dévore. Je me sens surexcitée.

La visite de la chapelle, la basilique Saint-Just, m’appaise.

Cette basilique romane construite au XII eme siècle a toujours été au cours des siècles un lieu de pèlerinage, on y découvre même, dans une vitrine en forme de tombeau, les restes d’un pèlerin anonyme, il gît accompagné de son bourdon et d’une minuscule coquille Saint Jacques.

Ce soir nous sommes hébergés chez Marie qui propose un accueil familial dans sa maison, un ancien hospital daté de 1640.
En fait, je ne le savais pas au moment de la réservation, nous entrons dans la maison d’un homme très malade, son frère. A son chevet, toute dévouée, Marie veille et soigne. L’homme grand marcheur et pèlerin, arrivait à rejoindre Lourdes en deux jours (il nous en faudra quatre). Je l’aperçois sur son lit médicalisé, le visage creusé et pâle, dans la positon du gisant.

Nous sommes gênés d’arriver dans ce monde de maladie et de silence. Nous nous sentons de trop. De plus à Saint Bertrand de Comminges impossible de trouver le moindre restaurant pour le soir et Marie ne nous invite pas à partager l’usage de sa cuisine.
Nous sommes là allongés dans la chambre et je n’y tiens plus, je descends voir Marie dans sa grande maison (c’est la que j’apercevrais le gisant) pour lui proposer mon aide. Elle a fait réchauffer une garbure, une bonne soupe de légumes et magret de canard qui nous comble. Nous dînerons seuls dans la grande salle à manger.

Au matin, nous trouverons tout ce qu’il faut pour le petit déjeuner.
Après avoir tamponné nous mêmes nos crédenciales puis glissé un billet dans le boîte du donativo nous sommes repartis sans faire de bruit.
Nous n’avons pas revu Marie.