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2022 : Chemin de Compostelle, Muxia-Fistera (3)

troisième partie

vendredi 2 décembre 2022, par Sylvie Terrier

Jour 34, 28 septembre. Compostelle- Negreira 22 km
Marcher par tous les temps

Ce matin il bruine. Une pluie fine s’installe, le temps est doux.
- Tu vois, pendant 33 jours Saint Jacques nous a guidé jusqu’à lui et à présent il nous a abandonné, me dit Didier en riant.
C’est vrai, durant tout notre périple, nous n’avons eu qu’une demi-journée de pluie, en arrivant à Bilbao.

Nous on est heureux de reprendre notre marche vers Muxia, de poursuivre notre chemin quel que soit le temps. Alternance de forêts et de bitume, jolies maisons de campagne ou d’habitation, petits hameaux en pierre de granit où se dressent de fiers horreos.

La masse des pèlerins des 100 km c’est terminé. Nous ne sommes qu’une poignée à traverser le paysage, encolorés par nos capes de pluie.

Il pleut, puis cela s’arrête. On met notre cape de pluie puis on l’enlève.
Et ainsi de suite, on, off, on, off...
Certains comme Vladimir choisissent de ne plus la mettre du tout et cheminent bras nus. Nous avançons avec les nuages qui jouent avec nous, s’immobilient, laissent passer un rayon de soleil, se referment et se précipitent.

Passant le Pont moyenâgeux de Maceira, l’accalmie semble disposée à nous laisser pic-niquer mais que nenni ! Sous ma cape, la condensation s’accumule et me glace. Tout autour de la visière de ma capuche, les gouttes s’allignent en rang serré. Seule solution pour déjeuner, trouver un abri bus. Mais ils sont tous occupés par des pèlerins. Nous déjeunerons à l’auberge, l’étape est courte (22 km) et nous sommes entrainés. Nous n’avons rien réservé. Pour ce bout de chemin, nous nous en remettons à la Providence.

Je trouve Negreira un tantinet triste sous ses pierres grises et mouillées. Peu d’activité humaine et boutiques fermées. La saison doit être terminée.
La chaleur humaine nous la trouverons au cafe de la Casa de la Cultura où sont aussi affichés les avis de décès. L’aubergiste comprend tout de suite ce qui nous ferait plaisir, la carte est mince, nous avons faim, elle prépare avec ce dont elle dispose. Un habitué lui apporte un nouveau bouquet d’hortensia, un autre vide sa poubelle. Elle aime, elle est aimée. Enfile un gilet rose fuchia, l’énorme bouquet l’hortensia la dissimule entièrement. J’essaie de la photographier, on ne la voit plus.

Comme il n’y a pas de dessert, on commande deux herbas, de la liqueur jaune à base de plantes. A 21 heures, elle ferme la boutique. Nous n’avons pas d’autre choix que d’aller nous coucher.

Jour 35, 29 septembre. Negreira-Oliveira, 32 km
Fougère et bruyère et un parfume de nostalgie

Toute la nuit il a plu averse.
Ce matin, nous ne démarrons pas sous les étoiles, nous attendons un peu... 8h15, la pluie cesse. Brouillard à flanc de forêt, humidité intense. L’averse nous surprend alors que nous tournons autour de l’église de Xan Julian, posée dans un écrin de gazon digne d’un jardin anglais.

C’est la même photo que celle prise il a 3 ans et demi, je trouve que je n’ai pas changé, les jambes un peu plus maigres, les joues bien remplies.

Chemins creux bordés de pierres moussues, forêts d’eucalyptus, les maisons se font rares. Nous entrons dans la Galice profonde, la fougère et de la bruyère y sont reines.

Deux kilomètres de bitume pour raccourcir l’étape qui du coup devient monotone. Et beaucoup d’éoliennes sur les collines. Y en avait-il autant la dernière fois ?
En cette fin d’été, les prés ne sont pas hauts, au contraire, les semis d’herbe sortent à peine. Pas de prairies ondulant au vent tels des chevelures sauvages, cette fois je mémorise une odeur, celle du purin rependu sur les champs.

Negreira. De nouvelles auberges se dressent parmi les horreos, soigneusement restaurés. Les plus gros comptent pas moins de seize piliers, seize champignons de granit.

Nous retournons à la même auberge, cela me fait plaisir de retrouver l’endroit où nous avions mangé et surtout trouvé un taxi qui m’avait permis de rebrousser chemin et retrouver (Ô cette image d’un serpent d’argent sinuant dans les feuilles mortes), mon collier perdu.

Mais l’auberge a bien changé et l’accueuil familial que nous avions tant aimé s’est envolé, au détriment de l’hébergement de masse.
Le soir, décevant menu pèlerin, chiche et de mauvais qualité (mais servi dans la minute, on n’en demandait pas tant). Je regarde mon voisin de droite, un homme seul dont le regard se perd au loin. Il vient de terminer le chemin portugais, me dit-il d’une voix douce. Et que boit-il ? Un petit verre de Porto. J’en commande deux, nous aussi ce soir, nous devenons nostalgiques...

Jour 36, 30 septembre. Negreira-Muxia, 34 km
La fin de la route

La journée commence sous un ciel plein d’étoiles puis l’aube s’étant levée, apparait un ciel gris et bas. Fraîcheur de l’air, il fait 9 degrés.
Décidemment je n’aime pas cette auberge. Nous voici mêlés aux touristes américains chargés d’énormes valises, assis devant une carte des petits déjeuners (pour me faire plaisir Didier a pris le meilleur), servis par du personnel stressé qui semble avoir pour mantra d’aller vite. Mais une fois encore, nous ne sommes pas pressés et nous n’allons pas mettre d’avis sur Booking. J’ai perdu mon chemin, mon allégresse. Sentiment d’agacement et d’impatience, mes défauts reviennent à toute vitesse. Vite, partons d’ici.

Montée jusqu’à un plateau, chemin tout en beauté à travers les forêts d’eucalyptus, un arc en ciel relie deux collines, j’ai retrouvé mon centre.
Au premier village, nous nous arrêtons pour boire un cafe con leche. Je me souviens de deux rencontres silencieuses. La première est un vieil homme. Il dort au soleil à l’entrée du café. On dirait que quelqu’un l’a déposé là. Sa canne tombe, je me lève pour la remettre à sa place près de sa main droite, il ne m’entend pas. La seconde est un âne blanc, tellement mouillé que son pelage ressemble à du papier maché. Il nous regarde passer sans même tourner la tête.

Les horréos m’impressionnent toujours autant, je ne me lasse pas de les photographier. Ils sont trois parfois côte à côte.
- Ici c’est le paradis, nous dit un paysan en nous voyant arrêtés.

Soleil, chaleur. Nous ramassons des pommes tombées, pommes reinettes charnues et sucrées qui agrémentent notre pic-nique.
On vit de peu.
C’est cela que nous aimons, peu de besoin, échanger avec les gens, ralentir le pas. Certains viennent même vers nous, beaucoup nous souhaitent un buon camino.

L’océan apparait d’un coup à la descente du chemin entre le feuillage des eucalyptus. Puis un village tout blanc. Serions-nous arrivés ? non, notre chemin file à gauche et suit la route. Et voici Nuxia, petit port de pêche endormi, délaissé par les touristes qui ne s’anime que le soir venu, au moment du dîner. Heureusement que les pèlerins passent par là.

Moment magique au kilomètre 0, "la fin de la routa" alors que le soleil bascule à l’horizon, nuages effilés, oiseaux dans le contre-jour et cette couleur cristalline qui bientôt se teinte de pourpre.

Sur le dos du rocher, face à l’océan, une idylle se noue. Georg et Barbara, deux Allemands rencontrés sur le Camino primitivo, deux sportifs fins et musclés. Des silhouettes parfaitement accordées, des mains qui se cherchent, des corps qui s’enlacent, un couple qui regarde le soleil se coucher.

L’auberge municipale est une étonnante structure à l’architecture moderne de béton et de verre. Composée essentiellement de très grands espaces vides. Seulement 20 lits à l’étage, 8 au rez de chaussée. La surface pourrait en accueillir le triple. Enrique nous accueille avec le cérémonial de l’hospitalier. Il parle français (ses parents ont émigré en Suisse où il est né).

Peut-être est-ce à cause du Covid mais dans les auberges municipales de Galice l’espace cuisine et son aménagement sont prévus mais vides. Pas un plat, pas de plaques chauffantes, pas même une petite cuillère. Le seul ustensile que l’on trouve réside en un micro-onde.
Je dors bien dans cette auberge, les ronflements ne me dérangent plus, il faut dire que nous avons de l’espace...
A l’auberge, nous avons retrouvé Ally la Suédoise qui comme à son habitude est arrivée la première et se repose dans son duvet. Je la vois toujours en train de lire un livre. Est-ce le même qu’elle lit plusieurs fois ?

Jour 37, Nuxia-Fistera ; 32 km
O nostalgie

Etape un peu ennuyeuse. Dernière journée de marche vers Fistera, le cœur n’y est plus. Nous arrivons par le haut de la ville, la perspective est courte, à l’inverse de la première fois où nous avions cheminé le long d’une paradisiaque plage de sable fin.

Fistera me fait l’effet d’une ville usée par le tourisme de masse.
Usés les serveurs, après 14 heures ils ne répondent plus.
Usés les cafés aux verres dépareillés qui n’ont plus ni chips ni olives "parce que, Madame, la saison est finie".
Usée aussi l’auberge où nous nous installons, on aurait pu faire l’effort de trouver mieux.

Usé le chemin le long de la route, derrière la chicane pour gagner le Cabo Fistera, la fin de la terre. Même pas envie de prendre une photo devant la borne 0, parce que la fin de la route nous l’avons vécue à Nuxia et qu’il me semble un peu inutile de célébrer deux fois, à deux endroits différents la fin du chemin.

Moment de tristesse.
Je ne suis plus dans l’instant présent mais dans la nostalgie.
Il faudrait alors repartir, tout de suite mais partir n’est-ce pas fuir.

Réveil de bonne heure le lendemain matin. Il n’y a plus de chemin, seulement un bus à prendre vers Santiago. Alors je propose une petite balade sur le rivage près du port.
Tout est paisible et neuf ce matin. Tout l’inverse de l’impression d’hier soir.
Moment heureux dans l’attente du lever de soleil, nous sommes seuls avec les mouettes et les bateaux de pêche qui rentrent au port creusant un sillon bleu marine.

Le trajet en bus me semble interminable. Il longe la côte et s’arrête dans le moindre village. Mais cette lenteur dissipe peu à peu ma tristesse. Je crois qu’il ne faut aller qu’une fois à Fistera, au bout de la terre.
Par contre, revenir à Santiago et dormir au seminario Menor qui conserve l’esprit du chemin. Compostelle traverse les siècles, se patine et la plazza del Obradorio de jour comme de nuit continue à accueillir et sublimer la joie des pèlerins.
Et cela ne doit jamais s’arrêter.

Nous retournons sur la plazza nous aussi. De nouveaux pèlerins arrivent, nous assistons chaque fois aux mêmes rituels, les embrassades, les cris, les selfies, les photos. J’entends parler toutes les langues du monde.
Je regarde les visages s’illuminer, les sourires agrandir les bouches.
C’est émouvant de se trouver à nouveau là, de partager cette joie.

Maintenant je le sais, le chemin me tient. Parce que cette expérience inouïe que nous avons vécue ensemble est marquée à jamais dans notre corps.

Ce matin, sous le soleil de Compostelle
Tandis que les cloches sonnent à toute volée
Que les pierres continuent de s’user
Bien moins vite que nos souliers,
Nous le savons,
Nous reviendrons.