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2021 : Sur l’île de fer, El Hierro (1)
mardi 28 décembre 2021, par
26 Octobre. La Caleta
- Les vacances ou la jubilacion ? (la retraite en espagnol)
- Les deux mon Capitaine !
Nous voici une fois encore de retour aux Canaries. Avec l’objectif de découvrir une nouvelle île, la plus lointaine, la plus petite, la plus jeune de l’archipel, El Hierro, l’île de fer.
Nous arrivons à l’aéroport de Valverde dans un avion à hélices. Avec ses cinq allers retours par jour au départ de Tenerife, il assure un véritable service public. Aéroport flambant neuf, minuscule, à l’écart de tout. Après la piste d’atterrissage, l’océan.
Soleil, brise légère, lumière. Nous enjambons le mur du parking pour nous retrouver sur la route et rejoindre à pied notre logement à la Caleta, un kilomètre plus loin.
Facile à trouver notre maison, c’est la première du village, à gauche de la route, un cube blanc posé en direction de la mer. On dirait qu’elle nous attend et tout nous plaît, sa simplicité, son calme, un coté cosy qui nous fait sentir « comme à la maison », la terrasse en plus.
Courses à la Supérette, ouverte 7 jours sur 7, encore une service public cette épicerie de village. Nous voici ravitaillés pour une vingtaine d’euros. Exploration du lieu, découverte des piscines, pour déposer la fatigue du voyage, nous n’avons pas dormi de la nuit, à peine sommeillé dans l’avion. Pureté des bleus, outremer de l’océan, turquoise des piscines, ciel myosotis.
Je nage dans la douceur de l’eau, effaçant instantanément la mémoire des jours passés.
Notre projet est de découvrir l’île en marchant, sans en faire systématiquement le tour. Pour ce faire, nous avons établi quatre camps de base à partir desquels nous rayonnerons. La Caleta au nord ; La Frontera au centre ; Sabinosa à l’ouest ; Taibique au sud. Le GR 131 ne sera donc pas notre unique fil rouge.
Au total, un périple de 208 km pour une île dont le périmètre côtier ne dépasse pas 107,5 km.
L’île, d’une superficie de 268 m2 est classée Réserve mondiale de la biosphère et Géoparc.
27 octobre. La caleta - Charco Manso - Echedo – Valverde - La Caleta, 21 km
6h45. La lune pointe au zénith dans un ciel constellé d’étoiles. Il n’y a que l’air. A l’aube naissante, j’aperçois un bateau qui d’un coup sombre dans l’horizon. Silence, seul demeure le bruissement de l’océan.
Nous prenons un solide petit déjeuner car nous avons prévu une longue balade. Et l’on emporte la quesadilla offerte par notre logeuse, le gâteau traditionnel de El Hierro, à base de fromage parfumé à la cannelle. Voila, c’est parti !
Mon père est allé à El Hierro il y a des années. Dans son carnet de voyage, il a noté : « El Hierro est un trou ». Je me promets de lui écrire ce soir pour lui dire que El Hierro n’est pas un trou mais un petit paradis.
Nous retrouvons à travers la marche ce que nous aimons dans ces îles, la solitude, la nature résiliente, l’âpreté des pierres, les mille et une astuces déployées par l’homme pour conserver l’eau, indispensable à la vie.
Les Canaries en quatre couleurs : le blanc des maisons, le rouge oxydé des volcans, le vert des champs de patates, le bleu de l’océan.
Nous arrivons ainsi après une belle descente dans la pouzzolane sur le site de Charco Manso. Roches d’un noir de jais, sculptées par les vagues. Une piscine naturelle nous attend. Il n’y a personne et nous avons tôt fait de nous déshabiller et nous baigner dans cette eau émeraude d’une transparence de rêve. Enfin pas tout à fait seuls. Un jeune couple d’autrichiens nous a précédés. Nous les saluons, nous nus, eux en maillot de bain, tendrement installés.
L’eau est un pur délice, la piscine enclavée protège des assauts de l’océan. Au retour, nous retrouvons le couple, elle a enlevé le haut. Nous nous sourions et commençons à discuter. Eux voyagent dans un gros camping car qui a bien du mal à circuler sur ces routes minuscules à fort dénivelé. Et le problème de l’eau, pas facile d’en trouver sur l’île. Nous nous regardons, pensant la même chose. Grâce à la marche, nous évitons tous ces désagréments. Nous sommes légers, mobiles et libres !
Alors que nous remontons vers Echedo, la faim nous fait pousser la porte d’un restaurant. Merveille de découvrir un patio à la végétation luxuriante, de belles nappes blanches, un camaïeu de couleurs chaudes. Sous les bougainvilliers, une table semble nous attendre.
Nous goûtons aux saveurs de l’île, poisson grillé, papas arrugadas, salade à l’ananas frais, sauces mojo, vin blanc local à la saveur fruité et sauvage, qui éclate dans notre bouche et nous renvoie instantanément à tout ce que nous ressenti ce matin en marchant.
28 octobre. La Caleta - Valverde - La Frontera, 26 km
Nous rejoignons aujourd’hui notre deuxième camp de base à La Frontera. Ce sera la plus longue étape du séjour selon nos prévisions. Partis de la Caleta nous remontons vers la capitale Valverde située à 550 m d’altitude en empruntant un chemin de randonnée (PR balisé jaune) et non pas le GR 131, difficile et pierreux que nous avons descendu hier en rentrant de Charco Manso.
Nous traversons une ville vivante et dynamique, achetant au passage des bouteilles d’eau dans une petite épicerie, afin d’éviter le supermarché.
Nous retrouvons le GR 131 et continuons à monter, dépassant les cinq éoliennes de l’île et leur réservoir qui permettent à El Hierro de tendre vers l’autonomie électrique. Ce chemin, bien balisé et bordé d’une canalisation, nous le baptisons « le chemin de l’eau ». Traverser des villages, s’arrêter et se régaler de figues mûres, dépasser des enclos où paissent des vaches placides, fouler des pistes de terre rouge, longer des murets de pierres sèches, le paysage de El Hierro se révèle.
Bientôt nous atteignons un plateau qui instantanément nous rappelle la Mezzeta espagnole, cette plaine sans fin où le regard se perd. Des murets délimitent de larges enclos, moutons, chèvres s’y rassemblent. Au loin un sommet piqueté de maigres pins laisse imaginer une déforestation sévère.
Il fait chaud et nous avons faim, le vent s’est levé. A l’abri d’un enclos, parmi les chardons noircis par la sécheresse, nous déployons la nappe du casse-croûte tandis qu’au-dessus de nos têtes, un faucon roux, ailes déployées, queue en éventail, se fige en position du Saint Esprit.
Je me félicite, le temps est splendide, c’est la journée idéale pour monter en altitude. En effet, le climat des îles pouvant évoluer à tout instant, nous ne sommes jamais à l’abri d’un changement de météo. Chemin bien tracé, large, sans difficulté, nous restons sur le GR, baptisé le chemin de la Vierge (el camino de la Virgen), en l’honneur d’un pèlerinage de 28 km qui a lieu tous les quatre ans entre l’ermitage de Nostra Senora de Los Reyes au sud de l’île et Valverde.
Le vent cesse soudain, au loin surgit le bleu mat de l’océan et l’île de la Palma avec son champignon de fumée blanche. Le volcan Cumbre Vieja poursuit son éruption. Le ciel s’agrandit, prend une couleur bleu tendre, uniforme, posé d’une seule touche. Quelques nuages blancs s’enfuient furtivement, d’autre tout rond se posent au dessus de nous, comme des signaux d’indiens bien qu’ici l’ambiance s’apparente plutôt aux ranchs sud américains.
Nous continuons à monter, bientôt des arbres apparaissent, puis une forêt dense. Le chemin serpente sous des arbres recouverts de lichens, les fameux lauriers à l’origine préhistorique. Les aiguilles des pins canariens recouvrent le sol d’un tapis moelleux. Alors que nous approchons du pico de Malpaso, le sommet de l’île (1503m) le brouillard nous surprend. Nous retrouvons aussitôt les sensations de la Palma, le froid humide, les montées soudaines de brouillard, le vent. Nous sommes à 1300 m d’altitude, nous n’apercevrons donc pas le sommet. Il est temps en effet d’amorcer la descente vers La Frontera, pas moins de 950 mètres de dénivelés. Naviguant dans le brouillard, nous ne voyons rien de la côte. Un chemin bien tracé nous écarte rapidement des crêtes.
Le choc. Entre deux bancs de nuages, nous avons vu El Golfo, une grande langue de terre en forme d’amphithéâtre, parsemée d’habitations blanches et de cultures. Et au-dessus presque à la verticale une paroi. Mille mètres de hauteur, correspondant à l’effondrement du volcan. Il y a 50 000 ans, un quart de la surface, soit 300 km3 de terre ont plongé dans la mer après s’être détachés de l’Île, provoquant un tsunami qui s’est ressenti jusqu’aux États-Unis.
Je reste stupéfaite devant cette vision, rêve ou cauchemar ? Je n’ai plus envie de descendre, ce mur je le ressens comme oppressant et menaçant.
L’ambiance étrange est encore renforcée en bas du chemin par l’arrivée d’un hélicoptère qui essaie vainement d’évacuer un blessé. Vent, poussière, bruit infernal, tentatives de sauvetage échouées, agitation intense des sauveteurs, cette fin d’étape est décidément bien mouvementée.
Des vignes, des parcelles bordées par des murets de pierre, des figuiers, nous retrouvons enfin l’horizontalité, la trace des hommes et l’apaisement quand j’aperçois celle qui va être notre maison pour trois jours, en pierre de volcan, aux murs épais comme un bras, la casa Clorinda.
29 octobre. La balade des 8 miradors - La Frontera, 19 km
7 heures. J’ouvre la porte de la maison. Nuit noire criblée d’étoiles, je recherche les constellations. La Grande ourse et sa Petite ourse, Cassiopée, j’en connais si peu…
Silence absolu.
Quelques lumières en bas vers la ville, un chemin de croix couleur orange sur la droite qui descend d’une petite église posée sur un curieux promontoire.
Le cri d’un coq soudain troue la nuit.
8 heures. Le jour s’est levé. Le soleil reste caché, barré par le corps massif de la paroi. Ses pentes vertigineuses se déploient dans l’aube naissante, des silhouettes de pin se dressent en ombre chinoise sur le sommet.
Des moineaux furètent dans le figuier tout proche. Quand il fera plus clair j’irai voir si je peux trouver quelques figues pour le petit déjeuner. Nous le prenons à l’intérieur, le soleil commence à peine à dorer la côte, il n’est pas prêt d’arriver jusqu’à nous !
- C’est un pèlerinage...
Oui, aujourd’hui pas de dénivelé mais une balade sur un chemin côtier joliment aménagé dans les coulées de laves, ponctué de miradors, des abris qui mettent en valeur des points de vue chaque fois différents. Ce n’est pas l’entrée d’un temple japonais mais une fenêtre ouverte sur l’océan. Nous cheminons de station en station, prenant chaque fois le temps d’une pause, d’une petite médiation. Failles, falaises, tubes volcaniques, criques, le paysage est terriblement déchiqueté, une dentelle d’ébène et de fer.
Hier nous déjeunions dans un champ de chardons, ce midi nous voici au bord des piscines naturelles de La Maceta, face à l’horizon. A l’infini de la sécheresse des plateaux, l’infini des bleus de l’océan. Plaisir de la baignade dans les bassins d’eau calme et transparente, puis du soleil qui réchauffe notre peau.
Quand le soleil décline et chute derrière la Punta de la Sal, nous prenons le chemin du retour vers La Frontera. Arrivée en sueur, un vent frais souffle, la bière glacée n’arrange rien. Je sens à cet instant que je pourrais prendre froid et tomber malade. Remontons vite jusqu’à notre maison perchée là où le bitume et l’éclairage public s’arrêtent. Je trouve la maison humide, les murs de pierre malgré leur épaisseur ne conservent pas la chaleur. Magie d’une douche brûlante et de moments d’amour. La machine à laver tourne, tourne, il est 23h quand nous nous endormons. Demain grosse étape, nous remonterons la paroi en empruntant le Camino de Jimana, soit plus de 1000 mètres de dénivelés.
30 octobre. La Frontera – Mirador de Jinama – Mirador de la Pena – Mocanal et retour en bus pour La Frontera, 21 km
Au matin, le soleil pose sur la surface de l’océan de grandes tâches ambrées. Ensuite seulement telle une marée d’or, elles se répandent sur le rivage. Il faut se lever tôt pour goûter à la naissance du jour.
Le Camino de Jinama démarre après la petite église fichée sur son promontoire. C’est un chemin vernaculaire en pierre, élaboré pour faciliter la montée. Des marches basses, qui obligent à faire des petits pas et respirer lentement. Même si certains effectuent aujourd’hui ce chemin en courant, j’imagine aisément les habitants d’antan franchir la montage accompagnés d’ânes lourdement chargés.
C’est un chemin humide et vert, tout entier dans l’ombre qui dévoile des arbres magnifiques couverts de lichens et des sous bois spongieux. Le soleil, ce sera la récompense une fois seulement arrivés au sommet. Émotion de nous êtes hissés jusque là, d’avoir franchis ces 1100 mères de dénivelés avec une telle facilité, grâce à nos muscles, notre volonté, notre force de vie.
Là-haut c’est le plateau, l’aridité de la Mezzeta retrouvée, des enclos bordés de pierres sèches, les cônes ferreux des volcans, les vaches qui nous regardent immobiles. C’est aussi quand on se penche au-dessus de la falaise une vertigineuse vue sur la baie de El Golfo. Le chemin que nous suivons n’est pas indiqué sur les cartes, sensation d’explorer le toit du monde, de frôler les nuages, d’être dans un état second, transfigurés.
C’est ici que nous déployons notre couverture pour un pic-nic en compagnie des faucons, pieds nus, dorés par le soleil, allongés sur le dos, bras écartés, crucifiés de bien être.
Nous commençons notre descente, passant à l’intérieur des enclos car le chemin extérieur s’effondre, escaladant des murets effondrés. La pente est douce, les bêtes rares. Tout doucement nous regagnons la civilisation, le bitume, les voitures jusqu’à atteindre le mirador de la Pena.
Nous sommes bien au soleil devant un café con leche et une bière glacée, assis face à « un paysage spendide », dans un cadre remarquable. Le mirador qui abrite un café restaurant a été conçu par l’architecte de Lanzarote, Cesar Manrique. Il se fond dans le paysage, mêmes pierres, même végétation. Mais il manque quelque chose, la sensation physique, l’exploration en mouvement, l’union du corps et du mental. Ici on ne fait que regarder. La-haut nous étions heureux de nous sentir vivants.