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2024 : Le chemin cathare (2)
samedi 10 août 2024, par
Jour 7, le 14 juillet. QUILLAN - PUIVERT, 22,5 km
Le directeur de l’auberge m’attendait comme convenu ce matin à 7h30. Il a été content du retour que je lui ai fait. Le gîte a des années de route mais il est d’une propreté irréprochable.
Je reprends mon chemin vers Quillan. Belle montée dans les marnes une fois le village de GINOLES traversé. Au dessus de la falaise de la SLAYREDE, des vautours tournoient.
Je gagne la forêt, sapins, épicéas, hêtres, quelques champignons. Dans une clairière, je tombe sur une fée ! Elle est assise sur le pas de porte de son fourgon bleu, un mug de café à la main, pieds nus. Je m’arrête un moment. Elle me demande si j’ai de l’eau, des choses à grignoter. Toute habillée de noir, le ventre creusé, elle est fine comme une biche. Elle me dit qu’elle aussi chemine, depuis 8 ans avec son fourgon. Elle cueille des herbes, elle vient de faire la récolte de cèdre (bourgeons, écorce ? j’aurais dû lui demander). Je ressens à cet instant un puissant lien de sororité. Dans la forêt et avec les fées je suis protégée.
A PUIVERT, j’ai traversé la ligne de partage des eaux. Je laisse derrière moi la sécheresse de la méditerranée, la touffeur des forêts de chênes liège, la terre rouge, les cigales. Là où se trouve le village, s’étalait autrefois un immense lac. Aujourd’hui, dans le limon fertile poussent des céréales, du maïs, des tournesols. Dans les jardins, de grosses prunes jaunes font plier les branches.
Je suis déçue par le château : impossible de le visiter, il a été transformé en château des dragons "dragons of legend", je ne devrais même pas en parler dans ce récit tant l’acceuil qui m’est réservé est méprisant. Il est vrai que je ne vais pas payer 16 euros pour voir des dragons s’agiter et cracher du feu. Je n’ai même pas eu le droit de dépasser la barrière pour faire une photo du château. Je le photographierai donc de loin.
Heureusement dans le village l’ambiance est toute autre à commencer par Evelyne, chez qui je loge ce soir. Sa maison accueille tout le monde, une maison un peu fourre-tout, avec une très grande table, des chaises colorées, une cuisine non moins imposante. Un lieu conçu pour que les hôtes se sentent à l’aise.
- La maison est toujours ouverte, me dit Evelynne avec un beau sourire.
A PUIVERT, les maisons plongent dans la rivière et accueillent de fragiles balcons.
Je visite un très intéressant musée ethnologique, le musée du Quercorb, découvre les métiers anciens de la région, le travail du fer, du bois, du jais. J’écoute des chants de troubadours car le chateau de Puivert était célèbre pour son instrumentarium : cornemuse, vièle, tambourin, orgue rotatif, rebec, psaltérion, guiterne.
Le soir venu, je me dirige vers le lac où l’on peut se baigner. Des couples en vacances, un peu bourgeois me saluent :
- Bonsoir Madame
Devant un verre de vin blanc frais, ma récompense du jour, je regarde le soleil se coucher sur les collines de la Malepère. J’ai totalement changé de géographie, de climat, mon chemin a bifurqué vers les Pyrénées.
Jour 8, le 15 juillet. PUIVERT - ESPEZEL / ROQUEFEUIL, 20,5 km
Ce matin au départ, je découvre une nouvelle facette du château, sa longueur. Les champs à ses pieds lui font la cour. Les tournesols, tournés vers les murailles ressemblent à une armée de soldats.
Bientôt je pénètre dans la forêt profonde, humide, le chemin devient boueux.
Je progresse vite, la montée n’est pas difficile. Au huitième jour de marche je commence à être bien entrainée.
Ma vigilance s’estompe du coup et je me trompe deux fois. Il suffit de faire chemin arrière pour retrouver le dernier signe. Pas vu le petit pont sur la droite bien camouflé par la végétation ! Je suivais par erreur le chemin effacé du maquis de Picaussel. J’arrive ainsi à une clairière, une ruine qui a dû servir aussi de refuge. L’endroit est paisible et vaste, si joliment aménagé que je m’arrête pour profiter de l’instant et manger mon casse croûte.
Moment de plénitude avant d’aborder le plateau de SAULT. La route toute droite me fait penser à la mezzeta sur le camino frances, mais en plus verte avec ses champs de blés mûrs, ses parcelles de pommes de terre et de luzerne ébouriffée de fleurs sauvages. Dans le lointain une moissonneuse batteuse expulse des gerbes de poussière de paille.
Je marche sur les bordures herbues afin de protéger mes pieds. A 14 heures j’arrive au village d’ ESPEZEL.
Mort le village, fermée l’auberge du relais du pays de Sault, à la retraite le père Pech et son béret avec. Fermé l’hotel du Cent. Je le savais, il n’y a plus d’hébergement dans ce village. Mais par contre une bibliothèque de livres gratuits aménagée autour du lavoir, digne d’un troisième lieu ! Je me dis que si je ne trouve pas d’endroit pour dormir ce soir, je reviendrai me réfugier ici. Près des livres, je suis chez moi.
Je me sens sereine. Ce chemin est devenu mon chemin. J’ai totalement oublié Didier, nos marches communes. Je vais de l’avant. Je prends soin de moi et je m’encourage. Je me parle. Je m’appelle "ma Grande", "ma Belle".
J’ai croisé un couple de jeunes qui marchaient en sandales. Ils m’ont parlé de la boue et des ânes qui abiment le chemin. Je leur ai parlé des cigales saoules et des chemins de pierre.
Ceci est mon chemin, et j’ai l’impression d’être partie depuis si longtemps. Je me sens comme ce lièvre levé toute à l’heure dans le champ de luzerne, solitaire, souple, les flancs creux.
Parfois ma maison me manque. J’ai la nostalgie de ces moments de paix quand je me retrouve chez moi, douchée, cheveux mouillés après une journée de plage, une brise légère se glissant par les fenêtres ouvertes. Posée et en paix. Pas dans un corps marchant.
Finalement j’ai marché jusqu’à ROQUEFEUIL, 2,5 km plus loin pour gagner le camping "La mare au fées".
Quand j’avais téléphoné pour réserver, le gérant m’avait proposé un mobile home pour 75 euros. Devant mon refus, il m’avait dit "on s’arrangera". J’ai faites miennes ces paroles positives. Et en effet, j’étais attendue. Pour cette nuit, j’aurai une tente et un lit de camp dans un joli emplacement bien ombragé.
Les nouveaux gérants du camping sont originaires de Béziers, ils ont la trentaine, beaucoup de volonté et de courage. Je leur confirme le besoin crucial d’hébergment pour cette étape. Ils ont déjà leur idée : aménager le dernier étage sous les combles de la bâtisse qui borde le camping et le transformer en dortoir 13 lits avec un petit coin détente. Magnifique idée, pour le printemps prochain. J’aime leur esprit d’entreprise, leur énergie, leur envie de réussir.
Ce soir ce sera pizza montagnarde, au reblochon, lardons, crème et pommes de terre. J’en mange la moitié et je garde l’autre moitié pour les casse croûte suivants. Cette pizza montagnarde s’averera aussi délicieuse froide que chaude.
Jour 9, le 16 juillet. ROQUEFEUIL - COMUS, 24 km
Quelle mauvaise nuit j’ai passé. J’ai entendu chaque heure et chaque demie heure au clocher. Un enfant qui s’étouffait en dormant et pleurait. Des chats à moitié sauvages qui se poursuivaient derrière la tente. Le rossignol chanter avant le lever du jour. Et puis j’ai eu froid et trop chaud (j’avais mis tout ce que j’avais). Au matin, j’avais les yeux bouffis et mal à la nuque. Ce n’est pas du tout confortable une tente même avec un lit de camp. Mais je suis contente de cette expérience.
Je suis allée chercher de l’eau au robinet des sanitaires car je n’ai pas de réchaud. J’ai bu un premier café soluble. J’ai rejoint le couple de suisses- allemands rencontrés hier soir au restaurant. Quel bonheur de vivre anime ces deux là. Secs et bronzés, quel âge peuvent ils avoir ? Au moins soixante dix, je n’ai pas penser le leur demander. Ils voyagent à bicyclette, s’obligent à parler français (mal et même entre eux). Alo m’offre de l’eau bouillante, j’offre des noix à Suzanne pour son musli.
Avec tout cela, je ne quitte pas le camping avant 8h30. Je repasse par ESPEZEL, un peu plus animé (oh, le café ouvert et ces voix d’hommes à l’intérieur, envie de m’arrêter) mais j’ai de la route à faire et du dénivelé jusqu’à COMUS.
Le sentier monte dans la forêt une grande partie de l’étape. C’est humide et très boueux jusqu’aux prairies de l’alpage. Je prie pour ne pas rencontrer un Patou. Je passe à pas feutrés et lent à travers un troupeau de vaches, les bâtons collés au corps. Je leur parle pour me rassurer. J’avoue j’ai senti les quelques poils qu’il me reste se hérisser sur mes mollets !
Croisé un peu plus loin un jeune randonneur solitaire, nous ne nous sommes rien dit. J’ai pensé qu’il ne devait pas parler français, il semblait très timide.
Sacrée montée dans l’alpage, sur une piste de grumiers. J’atteins mon point culminant, le col de la Gargante à 1370 mètres.
Nuée de mouches sur les bouses fraîches.
Grillon, sonnailles des troupeau,
Grosses cloches creuses.
Au loin sur un piton rocheux en forme de triangle, caressé par un faible rayon de soleil, le château de Montségur.
Après le col j’ai replongé dans la forêt et me suis retrouvée nez à museau avec deux chevreuils alors que je sortais d’une maison forestière. Puis le chemin s’est fait tout doux, fleuri, ponctué de papillons. Je me suis sentie dans les Alpes de mon enfance. J’ai pris mon temps pour gagner COMUS, mon étape du soir.
Pour la première fois depuis mon départ, nous serons nombreux au gîte du presbytère, pas moins de 21 à table ce soir. Linh la gérante s’active et grâce à son organisation sans faille tout se déroule à merveille.
C’est une assemblée des plus contrastée qui se retrouve attablée pour le dîner. Une famille avec des ânes et des petits enfants, un groupe de russes très sans gêne qui parlent fort, boivent beaucoup et prennent Linh pour "la cuisinière". Un couple de motards, un cycliste qui vient de Toulouse, et ma compagne de chambrée Marjolaine avec qui je lie amitié immédiatement. Nous discuterons très tard le soir une fois couchées.
Marjolaine la trentaine voyage seule avec une ânesse. Elle n’a peur que de rencontrer un ours. Pour cela elle s’est munie d’un bombe à poivre. Je ne sais pas s’il faut prendre sa peur de l’ours au premier niveau ou sous l’angle symbolique. Après tout nous sommes au pays de Jean de l’ours, créature mi-humain, mi-animal, né de l’union d’une femme et d’un ours.
Je suis émerveillée par la force d’empathie qui émane de Marjolaine. Elle me donne ses coordonnées. Peut être allons nous réaliser ensemble un projet d’écriture.
Jour 10, le 17 juillet. COMUS - MONTFERRIER, 22 km
Ce matin, je suis partie à 9 heures car le petit déjeuner n’était servi qu’à partit de 8 heures. Ah l’organisation de Linh...
Descente dans les gorges de FRAU, le long d’un ruisseau asséché et humide, que je ne trouve pas si spectaculaire qu’anoncé.
Je poursuis dans la forêt très gadouilleuse. Le chemin devient par endroit impraticable et m’oblige à faire des déviations ou à grimper sur les talus.
Je rencontre plusieurs randonneurs, lancés sur un autre chemin, le chemin des Bonshommes. De FOIX jusqu’à COMUS, nous avons trois étapes communes. Echanges d’informations. Le chemin des bonshommes, je l’ai découvert grâce à Laetitia à l’Office du Tourisme de Quillan. Onze étapes dont quelques unes en haute montagne. Les bonshommes, ce sont les Cathares qui ont fui les persécutions et cheminé jusqu’en Espagne où ils ont trouvé refuge. Mon prochain chemin ?
J’arrive à Montségur après 4h30 de marche et 14 km. Je retrouve les touristes et l’ambiance vacances. Je n’ai plus envie de monter au château, mon équilibre est perturbé. Pic nic tout doux sur un banc de pierre devant l’église.
Je reprends mon chemin qui n’est qu’une longue descente vers MONTFERRIER et bien désagréable. Je le résume en trois mots : boue, eau, moustiques.
Je suis bien contente d’arriver chez Gilles, mon hospitalier du soir.
Gilles est la gentilesse même. La quarantaine, célibataire, il est compagnon chaudronnier. Il travaille six mois d’hiver, randonne, héberge des marcheurs. Son gîte n’est pas encore référencé et il m’ accueille comme un reine en préparant un véritable festin. Trois entrées, de la viande locale, de la ratatouille, des pommes de terre du jardin. Et une salade de fruits pour finir, fraiche et parfumée de cassis.
On papote, il connait la région comme sa poche, les sentiers, les raccourcis. La soirée passe, dans la fraîcheur de la nuit tombée.
Didier reconnecte avec moi. En fin de journée, nous échangeons des SMS. Ce soir il m’envoie des photos de lui. Je les supprime, je ne veux pas de son intimité dans ma vie. Je vis une autre histoire. Mon histoire.
Demain matin je vais partir tôt. L’étape sera longue car le chemin est dévié en fin de parcours et du coup, rallongé de plusieurs kilomètres. Je décide de marcher jusqu’à ROQUEFIXADE puis à partir du village de prendre la RD5a, une petite route goudronnée, qui tout doucement me permettra de rejoindre FOIX et d’être à l’heure pour prendre mon train du retour à 16h55.
Jour 11, le 18 juillet. MONTFERRANT - FOIX, 25 km
Le réveil sonne à 6h30. J’ai dormi la fenêtre ouverte, aucun bruit n’est venu me déranger. Je me suis entendue avec Gilles, le café pour 7h30. A 7h15 quand je descends, le café est déjà prêt et Gilles dans son jardin. La table est mise dans la grande salle à manger, même emplacement qu’hier, dos tourné à la fenêtre. Gilles a pensé à tout, le yaourt, la compote, la salade de fruit. Il y a aussi du pain, du beurre et deux pots de confiture tout neufs.
Le bon sourire timide de Gilles.
Son étonnement quand au moment du départ je l’embrasse sur les deux joues et le remercie. L’émotion qui perle ses yeux quand il m’accompagne jusqu’au portillon qui reste toujours ouvert :
- C’est par là, tout droit.
Et me voilà partie.
Le chemin reste fidèle à lui même, des passages secs bordés de grosses pierres et des tronçons boueux, labourés par le passage de grumiers, une déviation a même été mise en place. L’herbe a été coupée de frais, le balisage reste parfait.
En moins de 3 heures je parcours les 10,5 km qui me séparent de ROQUEFIXADE. Sur son éperon rocher le château me tente. Il aurait fallu passer une nuit à ROQUEFIXADE pour pouvoir grimper là-haut.
Mais déjà je dévale la route départementale. Face à un paysage grandiose, je découvre la chaine des Pyrénées jusqu’au Canigou recouvert de plaques de neige sale.
Des mots me montent à la tête et forment comme une petite chanson :
Je marche sur la RD5a
Je descends vers Foix
Enivrée du parfum de foins coupés
Devant moi la chaînes des Pyrénées se déploie
Derrière moi disparaissent
Dans le bleu poudreux du ciel
Les châteaux de Roquefixade et de Monségur
Je marche seule
Je mange des prunes
Je marche dans le monde
Je suis incroyablement heureuse
Arrivée à MONTGAILLARDE, dans la vallée de FOIX. Je dois traverser une vaste zone commerciale. La chaleur me surprend. Je marche le long de la route nationale, bas côtés poussiéreux et jonchés de déchets, j’ai le sentiment de ne plus exister. Je ne suis plus à la bonne échelle.
Dans cet enfer, je rencontre Sébastien et je pense en le voyant "voila mon ange". Sébastien n’est pas marcheur, il fait du stop pour rejoindre une confrérie en Italie. Il transpire comme moi et porte un énorme sac. Son objectif ? "Transmettre le pardon dans ce monde sec". Il remarque mon corps affuté, je remarque son corps sec aussi, habitué des routes et du vagabondage. On se comprend instantanément.
J’arrive à la gare de FOIX qui se trouve à l’extérieur de la ville et je n’ai même pas envie de visiter la ville.
Il fait trop chaud, Je suis en sueur, j’ai juste envie de boire de l’eau et de m’assoir pour faire un petit bilan.
250 km en 11 jours. Je me sens très fière d’avoir réalisé ce périple. Je le nomme périple plutôt que randonnée. Fière d’en avoir eu l’idée, fière de l’avoir réalisé seule.
Le challenge n’était pas sportif mais consistait à parvenir à écrire une nouvelle histoire et à me déshabiller de l’autre.
Même si chaque soir ou presque j’ai communiqué avec Didier, lui décrivant le périple et lui envoyant des photos des paysages, je ne lui ai jamais envoyé de photo de moi.
Je ne veux plus d’affect ni d’émotion avec lui.
Cela m’amène à me poser la question : ai-je encore aujourd’hui envie de me remettre en couple. D’aimer, de faire l’amour oui, mais de m’engager dans une routine à deux, dans cette sécurité du couple qui certes protège mais aussi emprisonne. J’aime ma liberté.
J’ai retrouvé ma force. Je me rends compte aussi que j’arrive à me débrouiller seule, sans lien de dépendance. Que d’autres personnes peuvent m’aider. Qu’il ne s’agit pas de devenir un super woman qui n’a besoin de personne. Que j’accepte leur aide, avec bienveillance et reconnaissance.
Ma vie, cette aventure... Mon périple, une fois encore m’a permis de me remettre sur le chemin de la vie.