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2023 : Marcher pour soi, Béziers-Lourdes (1)

mercredi 15 novembre 2023, par Sylvie Terrier

Dimanche 1er octobre, Capestang, 22 km

En ce 1er octobre, nous fermons la porte de l’appartement de Béziers et commençons un nouveau chemin, la Voie des Piémonts. Partant de chez nous, comme le veut la tradition, nous projetons de gagner Pampelune, en passant par Lourdes, Oloron Ste Marie, le col du Somport, le Camino Aragones. Soit environ 750 km.

Pour la première fois depuis que je marche, je pars sur le chemin le cœur chargé de tristesse, les larmes au ras des yeux. Je voulais cette fois "marcher pour moi" comme me l’avait avec force insufflé mon amie Bernadette, quelques jours plus tôt.
- Tu as tellement porté, donné, marche pour toi, enfin !
Un cadeau cette parole, que j’aie immédiatement faite mienne. Je l’ai logée au fond de moi, blottie comme un oiseau, c’était ma lumière et en même temps mon inconnue. Car que signifie "marcher pour soi ?"
Si je devais répondre, je dirais : se faire du bien, se dire que l’on vaut le coup, que l’on est à ce moment la personne la plus importante. Que l’on s’aime aussi et suffisamment pour se protéger et que l’on sait le faire. J’ai toujours eu du mal avec l’ Amour de soi.

Rousseau : Il faut distinguer l’amour de soi (= instinct de conservation) et l’amour-propre (= orgueil) : l’amour de soi est un sentiment naturel et paisible, l’amour-propre est un sentiment social et nuisible.
L’homme primitif est dépourvu d’amour-propre : vivant en nomade solitaire, il n’a pas l’occasion de se comparer à autrui ni de prendre conscience du jugement d’autrui sur lui-même.
L’amour-propre ne naît donc que dans la société, qui permet le jugement social et les comparaisons interpersonnelles.

La veille du départ , mon oiseau que je sens encore blotti au fond de moi, est balayé par l’échange téléphonique que j’ai avec ma fille.
Ma fille est depuis des années dans une profonde recherche de soi. Passée par la déconstruction, elle dit avoir dépassé cet état et avancé dans son évolution. Une construction qui a suivi le féminisme, le mouvement LGBT, le non genré.
A présent, elle souhaite faire sa transition. Opter pour une transformation physique.
Autant je peux comprendre ce souhait et ce cheminement (qui s’apparente à une renaissance ou une naissance à soi) autant le fait qu’il touche à l’intégriété du corps, cela je ne peux émotionnellement pas l’accepter.

Car mon enfant est la chair de ma chair.
Car mon enfant est pour moi née fille et de sexe féminin.
Mon enfant aujourd’hui, que je vais appeler Iel, exprime (et cela me terrorise de violence faite à soi), son désir de ne plus vouloir de seins, disant que cet attribut la stigmatise femme. Elle a entrepris une démarche médicale et psychologique avec pour but une opération. Oter cette poitrine afin d’obtenir un torse.
Pourquoi la poitrine ? Je me demande si elle a subi un traumatisme dans son enfance ou son adolescence, je me sens profondément coupable. Je n’ai pas su la protéger, je n’ai rien vu, j’ai été et suis donc encore une mère absente et déficiente.

Iel parle de son torse comme si elle était un garçon. Depuis quelques temps déjà j’ai remarqué qu’elle mettait un binder pour aplatir sa poitrine. Cela doit faire mal, lui rappeler que cette partie là de son corps est mauvaise. Raison de plus pour s’en débarrasser une fois pour toute. Iel me dit qu’elle a envie de porter des tops, de ne plus dissimiler le haut se son corps dans d’amples vêtements.
Imaginer ma fille plate et "en torse" me remplit d’effroi.

Je crois que je n’oserai plus la regarder, car cela me fera trop mal.
Je pense à ces femmes atteintes de cancer qui rêvent de nouveaux seins, qui se font tatouer, qui essayer de cacher les cicatrices de la tumeur. Et toi ma fille tu veux juste enlever cette poitrine saine parce que tu ne l’aimes pas.
En plus de la mutilation (je n’arrive pas à remplacer mutilation par transformation) rien ne garantit que cela te rendra heureuse. Tu n’as pas su me dire pourquoi ton rejet s’était porté sur la poitrine. Quelle sera la suite de cette opération ? Réduire tes formes, tes fesses ? Supprimer tes règles, changer ta voix, ton sexe ?
Tout est possible aujourd’hui.

Je marche avec ma tristesse le long du canal vers Capestang. Temps splendide, les vendanges sont terminées, le paysage malgré la sécheresse ressemble à une mer de verdure. Au petit port de Poilhes, des plumes jonchent le chemin. Des canards, placides nous regardent passer. Ils ne bougent pas une patte.

A Capestang j’ai eu froid sous les platanes. Bu un Perrier, pas envie d’une bière, la joie d’avoir terminé cette première étape n’est pas au rendez-vous. Gentillesse et attention du garçon de café très édenté. Enthousiasme de Didier pour cette place "j’adore cet endroit" répété à de multiples reprises. Bon resto le soir et hôtel du Relais bleu pour la nuit.

- Oh pardon Madame, je vous ai pris pour un homme au téléphone !
- C’est pas grave, j’ai l’habitude, je ne relève même plus.
Elle est râleuse et revenue de tout la patronne, mais dans le fond, elle est sympa.

Cette première journée de marche s’annonce joyeuse mais moi je porte Iel. Je pense, vais-je marcher pour mon enfant, abandonner mon projet initial ? Je décide de laisser passer la nuit.

2 octobre, Beaufort, 32 km

J’ai bien dormi. Et ce matin, j’ai décidé. Je vais déposer Iel.
Hier je voulais marcher pour mon enfant, les paroles de Bernadette me sont revenues en force :
- Marche pour toi !
Alors sans ouvrir le paquet, je le dépose. Et je marche.

Le canal du midi s’éloigne. Le chemin s’échappe dans les terres, les vignes, la garigue. C’est long, il fait chaud. Vigne garrigue, garrigue vigne. 32 km. Nos sacs sont trop lourds, gare aux ampoules.
Dernières vendanges, pas d’échange avec les ouvriers qui parlent une langue inconnue.

Encore un peu de bitume et nous gagnons le village de Beaufort, ou nous attend un gîte réconfortant. Rien ne manque ici, l’attention de l’hospitalier, les petits encas dans le placard (il n’y a pas d’épicerie dans ce village) le café est offert. Bonheur assuré pour demain matin. J’ouvre les fenêtres, nos lits aux draps tout blanc font face au village, la cloche sonne 20 heures. Toute est en place, le bonheur s’ installe.
Il y a même une boîte à livres dans un frigo à l’entrée du gîte.

3 octobre, Laure en Minervois, 28 km

Longue étape à nouveau sous un ciel couvert. Les chaussettes n’ont pas séché, l’humidité est intense même si on ne la ressent pas.
- C’est marin ! Pour que les baies murissent il faut du froid. Et pas de baies pas d’oiseaux, le réchauffement climatique, c’est ici aussi !
Nous dit un jeune chasseur solitaire. Nous hier on a vu deux faisans et plusieurs écureuils bondissant d’arbre en arbre mais on ne lui a rien dit.

Belle balade à travers les vignes, les villages sentent le raisin fermenté et le mou écrasé. Les vendanges ici sont finies, les grappes oubliées sèches sur les pieds.

Retrouvaille avec le Canal du midi, une écluse et le lac de Jouarres avant de gagner Azile et ses belles allées de platanes.

Personne dans les rues, tous les cafés sont fermés, seules les croix vertes des pharmacies clignotent.
C’est une étape fleurie. Touffes de colchiques jaunes, cascades des volubilis, petites marguerites jaunes un peu collantes à l’odeur de camphre jalonnent notre chemin. Rien à grignoter. Finies les figues, un coing vert de temps en temps échoué au creux d’un fossé.

Oliviers sans olives, je me demande si cela est dû à la sécheresse qui a empêché la maturation ou bien si ces plantations sont à l’abandon.

On retrouve le chemin des Romieux. On l’avait quitté pour gagner le gîte de Beaufort afin d’éviter Pouzols-Minervois. Son balisage GR blanc rouge mais aussi un balisage jaune bleu qui prête à confusion.
Didier boitille au redémarrage et souffre d’ampoules aux pieds, ce qui ne lui arrive pas d’habitude. Nous sommes surpris. Avons-nous ramollis nos pieds cet été en allant à la plage presque tous les jours ? Et puis nos sacs sont trop lourds. Je me suis laissée tentée à la dernière minute par des ajouts superflus, un pantalon, un vêtement chaud, la serviette à carreaux du pic nic...
Décidemment je ne suis pas encore au point après toutes ces années de marche.

Chambre d’hôte ce soir. Rien à voir avec la sobriété heureuse d’hier soir. Nous attendons allongés sur notre lit l’heure du dîner et allons découvrir nos hôtes, Patrick et Kate deux anglais qui ont fui le brexit. Au téléphone, Patrick se disait impatient de nous rencontrer, il semblait moins enthousiaste à notre arrivée mais ce n’est sans doute qu’une impression. La maison est remplie de livres (Patrick était éditeur). Nous sommes des exilés, rajoute Patrick mais nous ne regrettons rien.

4 octobre, Carcassonne, 22 km

Au matin 7h30, nous prenons le petit déjeuner en écoutant la BBC. Kate et Patrick sont déjà levés et de bonne humeur. Ils nous racontent qu’ils ont vendu tous leurs biens en Angleterre afin de pouvoir acheter, il y a 20 ans cette grande maison vigneronne qu’ils ont meublée au fil du temps. L’un collectionne les porte-toasts (on dirait une collections d’os blanchis) l’autre les théières. Ils se parlent en anglais et semblent très complices. Lui, hirsute, tenu debout par ses habits (ou est le corps ?) elle moulée de noir et riant beaucoup.

Nous sommes contents de retrouver notre liberté et de recommencer à marcher.

Même paysage de vignes taillées par les machines agricoles, les champs désséchés, les escargots pétrifiés sur les tiges des fenouils sauvages.

Le chemin nous ramène sur les berges du canal du midi, ses platanes et la ville de Carcassonne qui d’un coup surgit, on ne l’a pas vue arriver.

Gîte dans l’abbaye Notre Dame ou nous retrouvons calme et sérénité loin des circuits touristiques de la citadelle. En fait, en cette période de l’année, c’est l’infrastructure qui perdure, restaurants, cafés et boutiques de souvenirs, plus que le nombre très réduit des touristes.
A l’abbaye nous sommes pris en charge par une équipe au top, bien organisée, attentive, joyeuse qui accueille une centaine de bambins en classe verte pour quelques jours.

Nous serons les seuls pèlerins du soir. A ce moment de notre périple cela nous surprend mais nous comprendrons les jours suivants qu’il n’y a personne sur ce chemin.

5 octobre, Montréal, 27 km

La route est longue pour quitter Carcassonne. La banlieue s’étire plus ou moins chic. Bitume et retour des voitures et des camionnettes pour l’entetien de toute cette infrastructure. La respiration et le calme ne reviennent qu’avec le lac de Taure. Il aura fallu parcourir dix kilomètres pour retrouver les libellules rouges, le calme des rives, le reflet d’un ciel à peine voilé dans le miroir de l’eau. Le beau temps fait sortir les reclus, papé sur son banc appuyé sur son ventre, femme handicapée devant sa maison en fauteuil roulant. Tous cherchent à profiter de la douceur réconfortante du soleil.
Vignes, champs de sorgho, boules de paille posées sur les champs moissonnés, la nature reprend ses droits.

Le chemin oscille, monte et descend doucement jusqu’à Montréal et sa collégiale Saint Vincent.
Bel accueil à la mairie où nous sommes attendus. Josiane tamponne notre crédenciale et nous remet la clef de chez nous à la "maison du pèlerin".

Nous avons terminé notre cinquième jour de marche et nous n’avons pas encore croisé un seul pèlerin.

6 octobre, Escueillens, 26 km

Nous quittons Montréal après avoir visité l’ancienne ville médiévale et découvert la collégiale dont la flèche et les gargouilles se détachent dans le bleu du petit matin.

L’orgue est en réparation, les tuyaux au sol, rangés par ordre de grandeur dans des boîtes en bois semblables à des cercueils. A l’entrée, un employé municipal balaie le seuil maculés de déjections de pigeon, la corvée du matin, dit-il d’un ton jovial.

Notre marche reprend dans un paysage vallonné et sec, champs de sorgho, tournesols, blés coupés, nous parcourons vraiment une géographie, montagne Noire à notre droite, chaîne des Pyrénées encore lointaines à notre gauche.

Belle rencontre à Lasalle. Je photographie une ancienne demeure en pierre avec son rosier de roses jaunes quand une voix m’interpelle :
- Elle vous plait ?
L’homme penche la tête hors de sa voiture et le dialogue s’installe. Il nous invite à boire un café chez lui. Sa femme nous rejoint, les mains pleines de peinture.
- Ha vous connaissez le Gabon !
Oui j’y suis allée, seule, alors que j’avais à peine 21 ans... Ils racontent à leur tour. Lui était officier le marine à Port Gentil, elle s’est occupée de leurs trois enfants, a même essayé de monter un centre culturel qui s’est vite essoufflé faute de moyens. Et leur enfants ? Des baroudeurs eux aussi, une fille partie en Amérique latine la semaine dernière avec son sac à dos comme nous. Quant à eux ils partagent leur temps entre l’ Aude et le Gabon, passent l’hiver en Afrique, reviennent pour le printemps et l’été ici. On pourrait passer des heures à discuter, mais nous devons continuer notre route, alors merci pour ce moment Richard et Marie Madeleine, on se dit que l’on se reverra peut être un jour.

Ce soir, pas de gîte municipal, nous avons réservé une chambre dans une maison d’hôte aux volets bleus, le relais d’antan. En fait nous sommes chez Jocelyne et Michel, encore un couple adorable.
- Ils nous reçoivent comme si nous étions des invités ! dira Didier
Bière partagée à l’arrivée (une bière du nord, leur région d’origine) et dîner succulent. Jocelyne nous régale de coquilles saint Jacques, de joues de porc accompagnées de légumes et d’une délicieuse tarte normande. Le courant passe entre nous quatre et au matin, nous avons presque du mal à nous quitter. Eux repartent se balader en voiture, je vois bien que notre escapade et notre liberté leur font envie.
Par la suite j’ aurais tous les soirs un petit message de Jocelyne qui s’enquiert de notre avancée.

7 octobre, Vals, 32km

8h30. Fraîcheur et ombres puissantes. Dénivelés conséquents et panorama sublime sur les Pyrénées. Il fait un temps digne des dieux, ciel bleu, sans le moindre nuage. Nous passons de l’ubac avec son herbe mouillée et ses noyers, aux chemins secs de l’adret. Sous nos pas, les glands craquent et les sauterelles crépitent.

Arrêt à Mirepoix, ville sans grand intérêt (mais sans doute passons-nous trop vite) le temps de faire quelques courses et pic niquer sur un banc public. Un peu de repos pour nos pieds et les dénivelés reprennent. Couloirs de verdure, traversées de villages, c’est la noce à Manses, la table est mise dehors pour le banquet, fleurs blanches et guirlandes de lierre, pas une âme mais des chants qui s’échappent de l’église toute proche.

Nous arrivons à Vals assoiffés et les jambes moulues. Chance, dans la rue bien ombragée où se trouve notre gîte du soir pas encore ouvert, un joyeux groupe est installé. Il s’agit de l’Association archéologique de Vals qui se réunit pour son Assemblée Générale. Son Président vient à notre table et nous explique tout cela en nous faisant servir deux bières fraîches. Nous sommes au bon endroit.

Vals est célèbre pour son Eglise rupestre Sainte Marie du XIeme siècle.
Mais dommage, l’église est en ce moment fermée pour raison de restauration.

L’acceuil au gîte de Vals n’est pas des plus chaleureux. La patronne, une hollandaise bien en chair attend un groupe de 36 personnes à dîner. On comprend qu’elle ait autre chose à faire que de discuter avec deux pèlerins. Je pense aux bons petits plats de Jocelyne. Mais on ne choisit pas sur le chemin et nous sommes contents d’avoir un lit et un dîner. Le repas et le dessert sont dans le frigo, il suffira de réchauffer les pâtes au micro onde. Et pour le petit dejeuner, on se partagera un demi paquet de pain de mie. Soit. Ce qui m’intrigue le plus dans ce gîte c’est cette citation peinte sur le mur : DONNE DE LA FORCE A LA TRANSFORMATION
Je pense qu’il s’agit de transformation spirituelle, mais je ne peux m’empêcher de penser à Iel et à sa transformation physique. Ces mot me blessent. Je baisse les yeux.

Pamiers, 8 octobre, 20 km

Nous mangeons notre pain de mie en silence. Quelque chose cloche dans ce gîte. Nous ne verrons pas la hollandaise ce matin et nous quittons le lieu sans état d’âme.
Les ampoules continuent à se développer sur les orteils de Didier. Malgré les soins quotidiens que je lui prodigue, la situation empire de jour en jour.
Son moral flanche. Quand nous reprenons notre marche ce matin, il boitille à l’arrière.

Le temps toujours aussi splendide nous envoie un message contradictoire. Des conditions de déplacement optimales et le physique qui ne suit pas. Après une courte montée qui nous fait passer près d’une ferme gardé par un patou (heureusement le propriétaire arrive et le rappelle, le patou le voyant ne s’approche pas) nous atteignons un plateau. Une vue magnifique se déploie sur la vallée, les champs, les boccages et tout au fond la chaine bleutée des Pyrénées.

Nous déposons nos sacs. C’est à ce moment que nous croisons l’adjoint au maire d’hier soir, en tenue de trail. L’homme s’arrête et parle. De sa joie de pouvoir bientôt rouvrir l’église, en avril 2024, vous reviendrez ! De son implication dans le musée et nous partageons l’idée d’une culture gratuite, accessible à tous. L’homme ne s’arrête plus de parler, de son pays, de cette nature, dans ses yeux brillent des étoiles.

Et c’est devant ce paysage splendide que Didier annonce sa décision : il arrête, c’est trop con de continuer à marcher ainsi, il en a marre. Je propose quelques solutions alternatives (acheter de nouvelles chaussures à Pamiers, se reposer un jour) rien n’y fait sa décision est prise. Je reste sans voix.
Puis dans ma tête des plans s’échaffaudent. Rentrer avec lui ? Continuer seule ? Je décide au bout d’un moment de continuer seule mais jusqu’à Lourdes. Cela fait sens car nous avons déjà parcouru le chemin de Lourdes à Punta la Rena. Et Lourdes est une destination de pèlerinage.

L’étape s’ annonce courte heureusement. Nous cheminons dans une gêne silencieuse, chacun en proie à ses pensées. Le gîte paroissial qui nous loge ce dimanche manque de moyens, il est meublé de bric et de broc, les plâtres à l’intérieur s’effrittent mais nous avons un toit, des draps propres et une cuisine bien équipée. L’endroit peut accueillir une dizaine de pèlerins, il sert aussi de local pour des activités de loisirs ou de groupe. Ce soir, une fois encore, nous serons seuls.

Pas envie de dîner ici, sous la lumière blafarde des néons, trop peur que cette ambiance plombe la situation, déjà bien triste.
Didier propose un restaurant et nous nous régalons aux Bains Douches d’un menu poisson et vin blanc de la région. Le vin détend, la nourriture délicieuse nous apaise, je pense à Jocelyne, elle aimerait cet endroit.

Dans ma tête les pensées se bousculent. Je me trouve face à moi même. Marcher seule, depuis que nous nous connaissons Didier et moi, je ne l’ai jamais fait. Et pourtant il y a quelques jours je me targuais d’avoir voyagé seule en Afrique ou en Inde avec mon sac à dos. De quoi ai-je peur ? De me tromper de direction, n’ayant pas l’habitude de manipuler GPS et Wikiloc, domaines de prédilection de Didier. Et puis notre complicité, notre complémentarité va me manquer. La marche est ce qui nous relie.

Lui en arrêtant prend un sacré coup de vieux et à mon sens manque de volonté.
Mais il sait mieux prendre soin de lui que moi.
Didier m’écrira le lendemain, une fois arrivé à Béziers : je considère mon retour comme une rupture, je bois des bières et je ne l’ai pas mérité.

On a pleuré tous les deux au dîner.
On a pleuré chacun sur nous même.
Faut passer ce cap de l’émotion.

Je me suis vite endormie, puis réveillée à minuit.
Ma décision n’a pas pas changée, je continue le chemin jusqu’à Lourdes.
Ensuite, je ne me suis pas arrivée à me rendormir. La nuit a été longue.

Au matin, sensation de toile Emery dans les yeux et mal à la tête, le vin sans doute. Didier a préparé le parcours pour moi, je le télécharge sur mon téléphone. J’oublie mon casse croûte dans le frigo et je rate le café du matin. Mais au moins, grâce à l’insomnie, je suis partie tôt, à 8h15.