Bibliotheque Autour du Monde

Accueil > Marcher sur les chemins, un autre voyage > 2015 : Abécédaire de Sarrebruck au Puy en Velay (3)

2015 : Abécédaire de Sarrebruck au Puy en Velay (3)

De Langres à Cluny

vendredi 2 janvier 2015, par Sylvie Terrier

Abécédaire

A Amis du chemin Vous serez toujours les premiers dans mes abécédaires. Amis de quelques minutes, d’une heure ou d’une soirée, amis même silencieux. Sœur Marie Agnès à Cluny, Pascal le marcheur rencontré après Langres (ses bâtons en bambou fabrication maison), Guy le déprimé qui nous invite chez lui, Jean Paul le poète rencontré sur la route devant sa maison "priez pour moi quand vous serez à Compostelle", Catherine et Emmanuel les parisiens, Nicole la maigrichonne qui nous dépanne avec une bouteille de mauvais vin et quatre œufs ( et à qui j’ai promis une carte postale), Claude l’homme qui nous rattrape dans la nuit…

Aire naturelle à Grancey le château. Personne sur le site qui se résume en une aire plantée de quelques arbres et un bloc sanitaire commun avec le stade attenant. Par chance tout est ouvert. L’orage menace à nouveau, nuages et éclaircies se bousculent, laissant présager la pluie. Nous décidons de nous installer dans les vestiaires. Sur le béton, pas besoin de piquet pour la tente. Il fait chaud, nous nous lavons dans les douches collectives des garçons et nous dormons dans le vestiaire des filles, plus propre. Le lendemain, nous plions bagage rapidement et repartons comme nous sommes venus : incognito.

Auberive : tout est beau à Auberive à commencer par le nom.

Ame. Pas rencontré une âme durant toute cette journée. Il s’agit de notre première journée de marche, nous aurons l’occasion d’éprouver ce même sentiment les jours suivants. L’étape a été longue plus de 30 km et pour finir, une interminable route forestière désespérément droite. Nous plantons notre tente à toute vitesse sous l’orage qui gronde. Personne ne pourra remarquer notre minuscule guitoune dans cette forêt dense, encore moins quand tombe une nuit lourde, malmenée par le vent. Diner en poncho sous l’orage, vin, pain et fromage. Sous la pluie JM gonfle le ventre, il ressemble à un ogre, il accentue encore le jeu, j’éclate de rire. La pluie intense nous fait regagner la tente précipitamment, ce soir je n’ai pas le courage de me laver les dents.

B Beaune. Nous arrivons à Beaune, « capitale des vins de Bourgogne » par la route nationale. Arrêt au dessus du pont d’autoroute, ha ! j’avais oublié août et la traditionnelle descente vers le sud… Le camping affiche complet mais nous trouvons toujours une place pour notre petite tente (minuscule, un petit pois dans un champ vert). Après une douche rapide, nous nous pressons pour aller découvrir la ville.
Nous sommes déçus. On ne se sent pas du tout à notre place dans cette ville guindée et dédaigneuse. Des clichés ? Des jeunes femmes blondes dehors, un verre à la main, des restaurants bondés de touristes en pantalons blancs, des japonais en visite guidée, l’hôtel Dieu transformé en musée, il faut payer pour voir les magnifiques toits en tuiles vernissés. Et encore ? Le café allongé coute 3€80, une bouteille Bourgogne 22 euros.

Nous faisons tâche avec nos chaussures de randonnées, nos polaires et nos ponchos de pluie (il se met à pleuvoir dès le début de la soirée). Le lendemain matin 15 Août, messe à la cathédrale puis interpellation du prêtre, notre crédencial à la main. Le tampon est superbe, nous retrouvons le sourire, toujours cela de gagné.

Boucher de Saint Jean de Vaux. La boutique sent le thym et le boucher… a une tête de boucher. Viande bien rassie, en petite quantité, rillettes délicieuses et saucisson maison. Même le céleri à la rémoulade est exceptionnel. JM garde le papier d’emballage pour l’adresse, même si la probabilité que l’on repasse un jour dans ce village est quasi nulle.

C Camembert : Ce camembert, la seule pièce dans le frigo de la boulangère, restera à jamais imprimé sur ma rétine. Je l’ai vu tout de suite en entrant. Il n’y avait que lui dans tout ce vide froid. Ce camembert, c’est grâce à lui et à nos mines dépités que nous avons rencontré Catherine « je voudrais vous aider, je ne sais pas quoi faire ». Ce jour là à midi, on a mangé du pain avec du saucisson offert par Catherine et le soir dans le gîte des pâtes au camembert. La frugalité fait partie du chemin.

Chemin d’Assise. A Cluny et grâce à sœur Marie Agnès je découvre un nouveau chemin, le chemin d’Assise. Un chemin long de 1500 km qui part de Vézelay et rejoint Assise en Italie. Voila, quand on commence à marcher sur le chemin, on découvre de nouveaux chemins, on ne peut plus s’arrêter.

D Désintoxiquer. Il me faut cette fois ci trois jours pour me désintoxiquer du travail, du stress accumulé à ne rien faire, des pensées négatives. Une grosse dispute avec JM me donne même envie de rentrer, de tout abandonner. Heureusement je ne l’ai pas fait.

E Épicerie (fermée). Au matin déception à Tarsul il n’y a plus d’épicerie depuis longtemps elle a disparu en même temps que sa dernière propriétaire. Nous sommes frappé de constater que ces village de Bourgogne sont magnifiquement restaurés, cossus, soignés mais qu’ils ont perdu leur âme, leurs habitants, les cris des enfants, toute odeur. Maisons fermées, presque en deuil. Rencontrer quelqu’un est une joie.

F Flèche. A Saint Gengoux Le National, cité médiévale, nous découvrons une étonnante architecture d’église. La flèche de l’église et relié à un donjon par un pont aérien ! Belles rencontres au syndicat d’initiative. Nous qui avons vu si peu de monde sommes ravis de pouvoir échanger, trouver un supermarché, des cafés ouverts. Le soir nous retrouvons à 5 au relais d’étape municipal. Rencontre d’un couple d’allemands dont nos ne connaitrons pas les prénoms et de Gabby une exubérante dame de 74 ans plutôt stressée qui marche seule avec un grand bâton tordu vers Assise. Maigre et nerveuse elle semble tout le temps perdue. En réalité, elle se révèle remarquablement bien organisée. Agile, elle file comme un lézard. Ce sera son surnom.

Factrice. On retrouve la factrice aux ongles bleus que nous avions rencontrée à Grancey le Château, la seule personne avec qui nous avons échangé quelques phrases, dans ce village tout fermé. L’épicier nous a entendu appeler mais ne nous a pas ouvert sa boutique. Nous voilà partis avec presque rien à manger et rien à boire à part nos gourdes remplies d’eau.

G Géographie : C’est pour moi une grande découvert du chemin, arpenter la géographie d’un pays, d’une région, d’un territoire. Impression de se promener sur une carte dont la légende serait bois forets chemins champs villages. Nous arpentons les plaines et les collines, suivons les cours d’eau, traversons une France rurale, nous la ressentons avec nos pieds, tous nos sens réveillés.

Gouttes d’eau. Le chemin à travers les vignobles de Bourgogne est souvent boueux, impression de marcher avec des semelles de plomb. Arrêt en lisière de bois pour s’alléger et pic niquer. Noblesse des grands chênes, en contre bas, sur la Nationale et dans un parfait silence glissement ininterrompu des voitures, comme gouttes de rosée sur un brin d’herbe.

Gîte. Gîte à Nuit St Georges, chez Pierre qui vient nous chercher à Curtil. Aujourd’hui nous avons marché pendant 38 km et nous sommes épuisés. Pierre a une belle voix grave, la quarantaine élégante. Nous l’avions imaginé pèlerin marcheur comme nous, mais non il est dans l’accueil, c’est un hospitalier. Dans la vie il gère un centre de réinsertion pour personnes handicapées. Il dispose personnellement d’un chalet dans lequel il peut loger trois personnes. Dommage, ce soir il est déjà complet. Qu’à cela ne tienne, il nous installe dans un appartement du centre, vide à cette période de l’année. C’est moins charmant qu’un chalet entouré de tomates mais nous apprécions de pouvoir nous doucher, laver quelques affaires, dormir dans un vrai lit et le matin, boire un bon café filtre.

H Humble. Le chemin rend humble et grand. Humble parce que nous sommes obligés de vivre avec le minimum, et nous nourrir de l’essentiel. Grands parce que nous arrivons à faire cela avec aisance et que cela nous remplit de joie.

I Intérieur. Tôt le matin JM va à la messe chez les sœurs de Saint Jean. Moi je reste dans notre chambre monacale pour écrire. Odeur puissante de citronnelle. Silence, douceur du bois poli sous ma main, tout est blancheur dans cette chambre à part une icône dorée. Il est temps pour moi de commencer un voyage intérieur afin de retrouver et traduire sur le papier ce que je n’ai pas eu le temps de consigner et que je crains d’oublier.

Imprudents. Avons-nous été un moment imprudents sur le chemin ? Je ne crois pas. Par contre nous avons une fois mal évalué la distance à parcourir. Nous avions passé une bonne nuit au gîte d’Etaule, au matin il pleuvait. Nous étions seuls, il faisait chaud, nous apprécions le confort du gîte. Nous sommes partis à 10h, après avoir tout bien briqué histoire de faire plaisir à Nicole. Erreur. La forêt était détrempée, je suis tombée plusieurs fois, glissant dans la boue. Nous avons fait peur à un ramasseur de champignons, nous avons eu peur à notre tour quand nous avons débusqué tout un troupeau de sangliers. Pour finir, le temps que nous avions gagné à marcher vite, nous l’avons perdu à attendre l’ouverture du supermarché entre midi et deux. Une pluie froide s’est mise à tomber, nous avons pic niqué debout sous l’abri des caddies… Ensuite nous avons affronté les premières montagnes d’Auvergne nimbées de brouillard. Dernière partie de l’étape sur le bitume histoire de gagner du temps. Heureusement ce jour là, nous avons rencontré une bonne étoile. Pierre est venu nous chercher à Curtil. Sans lui, nous serions arrivés à Nuit Saint Georges aux alentours de minuit et jamais, je crois, nous n’aurions trouvé sa maison…

J « J’ai été en dessous de tout… "C’est ma femme qui m’a dit une fois que vous êtes partis… Mais on ne peut pas les laisser comme cela...Montez, je vous emmène ». Claude nous récupère au bord de la route, dans la nuit. Discussion animée, en bon bourguignon, Claude roule joliment les r. Les 4 km me semblent malgré tout bien longs. Nous entrons dans le camping en voiture et en faisons le tour. Visages étonnés des campeurs, blafards dans la lumière des phares. Claude découvre le camping en même temps que nous. Il nous dépose à l’entrée, nous nous serrons la main chaleureusement. Merci Claude et une bise à votre épouse qui vous a envoyé vers nous !

Le lendemain matin, nous refaisons à pieds les 4 kilomètres parcourus la veille en voiture, histoire de nous remettre dans le droit chemin. Et nous tirons leçon de cette mésaventure : ne pas marcher après 18heures ; ne pas partir sans indication de distance ; ne pas s’écarter du chemin ; et pour JM apprendre à lâcher prise.

Jardin d’herbes. En arrivant à Cluny après tous ces jours de pain charcuterie fromage nous avons envie de fraîcheur. Nous préparons une énorme salade grecque avec tomates, concombre, feta et olives noires. Soudain je me souviens d’avoir entrevu un jardin d’herbe tout près de l’abbaye, un jardin agencé par les moines, soigneusement entretenu aujourd’hui pour le plaisir des touristes. Voila la notre salade parfumée à la menthe fraîche.

Jakobweg : Aus dem Jakobweb. Seit Jahren träumte ich davon… und heute bin ich auf dem Weg « depuis des années je nourrissais ce rêve, et aujourd’hui je suis sur le chemin. Jakobweg = le chemin de Saint Jacques en français. Tirés d’une prière de pèlerin, ces mots ont toute leur place dans mon récit, puisque nous parcourons « le chemin des allemands », une voie peu fréquentée qui démarre encore plus haut au Nord, à Berlin. En fait, tous les chemins descendent vers le sud. Sur les cartes les parcours forment un incroyable réseau, tels des vaisseaux sanguins courant sous la peau.

K Kramer le lorrain que l’on rencontre dans le village de Tarsul. Il nous donne son nom à la place de son prénom. C’est un Jean. La seule âme rencontrée dans ce joli village bien retapé mais désert. Kramer, l’homme à la tondeuse. Il est propriétaire d’une autre maison qu’il loue et se prépare à accueillir ses hôtes d’où la tendeuse. Tiens Kramer me fait penser à une autre rencontre, lorraine également et de Forbach en plus, Mireille. Pas très sympathique la Mireille, pas trop envie de plaisanter et pourtant JM lui achète une bonne bouteille de vin. Elle se détend un peu quand je reviens vers elle pour lui demander l’adresse d’un camping. Oui elle connait une adresse, ce sont même des amis, voila qu’elle s’ouvre un peu. Elle a perdu son accent, JM est passé à côté d’une voisine sans s’en apercevoir.