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1989 : Lê Thu

Témoignage du Viet Nam

samedi 29 janvier 2011, par Sylvie Terrier

Lê Thu

« C’est par hasard que je suis devenue chanteuse. Pour mon plaisir, je chantais Adamo, Christophe, Sylvie Vartan... Quand je suis venue à Saïgon, j’ai travaillé aux Beaux-Arts, on a fait un festival et j’ai chanté. Un professeur de littérature m’a entendue, il m’a dit : « tu as une belle voix, on va faire un groupe dans l’école ». On s’est appelé « le groupe de l’été ». Après on m’entend, on m’invite à chanter.

En 1981, le gouvernement a engagé des jeunes pour combler les trous laissés par les bombes. A l’école, il y avait un politicien, sa femme s’occupait des jeunes volontaires. Elle m’a invitée et j’ai chanté partout, dans les plantations de riz, d’ananas... nous on chantait pour donner du courage aux volontaires.

A l’école on m’a dit : il va y avoir un concours pour les amateurs, il faut que tu te présentes. Et j’ai été médaille d’or ! J’ai été connue avec une chanson des Carpenters. Après, je suis entrée au « Club d’art », le groupe d’aujourd’hui. Je chantais avec deux autres chanteurs, je chante, je chante !

La première chanson enregistrée en 1982, « La trace ronde sur le sable », c’est la trace que laisse les béquilles du soldat mutilé. C’est une histoire vraie. Le soldat mutilé est parti, il va dans les villages apprendre des chansons aux enfants. Si tu veux le retrouver, suis les traces rondes dans le sable.

Je choisis les chansons pour leurs paroles surtout et aussi pour une mélodie qui aille avec ma voix.
Il y a des jours où l’on va chanter pour les soldats malades dans les hôpitaux. Une chanson dit : « Malgré les bombes, si tu as perdu bras, jambes, yeux, tu es toujours heureux car tu as fait quelque chose pour le pays ». Quand je chantais cette chanson, il y avait un soldat, il applaudissait avec ses moignons, j’avais les larmes aux yeux. Car tu sais personne ne voulait la guerre et l’on est pauvre à cause de la guerre tu sais...

Quand je chante, c’est comment... un pont entre le public et le chanteur. Maintenant à Saïgon, il y a beaucoup de salles, mais c’est seulement pour l’argent. Moi, je peux dire qu’à Saïgon, on chante d’une part pour l’art, d’autre part pour l’argent. Chanter pour l’art signifie donner aux gens quelque chose de beau.

A Saïgon, des gens diront : « elle a une belle voix ». D’autres viendront seulement pour le spectacle. Les gens qui aiment la chanson pour l’art, ce sont des gens âgés, environ quarante ans. Surtout des gens de l’ancien régime, ils aiment beaucoup les chansons françaises. A Saigon il y a une salle où chante un homme qui a vécu longtemps en France. Il donne parfois des chansons françaises d’avant 1945 et des chansons d’après guerre. Cela a tellement de succès qu’il faut prendre ses billets deux semaines à l’avance.

De 1975 à 1980, toutes les chansons françaises, anglaises, américaines ont été interdites. On a jeté, brûlé les disques, les cassettes, car on avait peur. Mais on écoutait en cachette. Maintenant c’est fini, on peut à nouveau chanter ce que l’on veut.