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2005 : Journal de voyage Inde du sud , Trivendrum, Kanyakumari
lundi 1er décembre 2008, par
Premier cours de cuisine indienne, à la Governement guest house de Kollam
- cuisine indienne
La cuisine est rudimentaire, une grande table de bois sombre, une planche en bois, un couteau hachoir. Une cuisinière à deux feux, plus un troisième plus fort pour cuire les marmites de riz. Toutes les épices sont conservées dans des pots bien fermés qu’il faut ouvrir à chaque utilisation.
La base de toutes les préparations est l’oignon, l’ail, le gingembre frais, la tomate et les feuilles de kori.
Les plats de curry du Kerala contiennent tous de la noix de coco râpée.
La matière grasse est l’huile végétale.
La cuisson est longue et à feu vif, la préparation liquide et onctueuse, de couleur jaune d’or, à cause de la poudre de curcuma (ou tumeric)
Pour faire le dal (lentilles jaunes servies à tous les repas végétariens indiens)
— Laver les lentilles
— Les mettre dans une cocotte minute et les recouvrir d’eau
— Ajouter 1 c.café de poudre de tumeric, 1c.café de graines de cumin, 1c.café de sel
— Fermer la cocotte. Laisser siffler 3 minutes. Retirer du feu sans ouvrir (les lentilles continuent de cuire et doivent être très molles)
Pendant ce temps :
— Faire revenir dans un peu d’huile chaude 1c.café de graines de cumin, 3 tomates coupées en morceaux, une dizaine de feuilles de kori.
— Bien mélanger jusqu’à ce que les tomates soient fondantes.
Transférer les lentilles de la cocote dans une petite marmite. Ajouter le mélange de tomates. Mélanger. Goûter, ajouter un peu de sel si nécessaire. Faire chauffer à gros bouillons pendant quelques minutes. C’est prêt.
Curry de légumes :
— 3 pommes de terre
— 2 carottes
— 6 haricots
Couper tous les légumes en morceaux. Les faire cuire à l’eau. Ne pas les égoutter, garde l’eau de cuisson.
Préparer les mélanges suivants :
Dans un peu d’huile faire revenir 2 tomates coupées en morceaux avec des feuilles de kori et 1c.café de poudre de curry.
Préparer et écraser à la pierre 1 tête d’ail et autant de gingembre. Les faire revenir dans un peu d’huile.
Mêler les deux mélanges.
Râper très finement une demi noix de coco fraîche. Ajouter deux verres d’eau et passer le tout au mixer pour obtenir un mélange liquide semblable à du lait.
Ajouter aux légumes. Laisser cuire sans couvercle, à gros bouillons pendant quelques minutes. La sauce s’épaissit.
Faire chauffer un peu d’huile. Ajouter 1c.café de graines de moutarde, 5ou 6 clous de girofle. Mélanger aux légumes. C’est prêt.
Pommes de terre en cube
— Couper 3 pommes de terre en cubes
— Les mettre dans une marmite et les recouvrir d’eau
— Ajouter 1c.café de poudre de tuméric et 1c.café de sel
— Poser sur le feu jusqu’à ce qu’elles soient cuites (encore bien fermes)
Égoutter les pommes de terre : elles sont toutes jaunes !
Faire revenir dans un peu d’huile 1c. café de graines de moutarde, 1 oignon coupé en lamelles, une dizaine de feuilles de kori.
Mélanger aux pommes de terre, hors du feu. C’est prêt !
Curry de poisson
— 1 oignon hâché
— 10 feuilles de kori
— 1 mélange hâché d’ail + gingembre frais
— 2 petites tomates coupées en morceaux
Dans un petit wok, faire chauffer un peu d’huile avec 1c.café de graines de moutarde, 1 c. café de graines de fenugrec .
Ajouter ensuite l’ail+gingembre hachés, puis les l’oignon haché et les feuilles de kori, puis les tomates coupées en morceaux.
Bien mélanger le tout.
Puis ajouter 1c. café de poudre de tuméric, 1c.café de fish massala, 1 c ;café de poudre de chili. Le mélange doit devenir sec. Bien remuer.
Ajouter alors deux verres d’eau. Laisser cuire.
Ajouter 1 c.café de sel, quelques morceaux de tamarin séché (=Limbou).
Laisser cuire à nouveau pendant 5 minutes.
Pendant ce temps, préparer le poisson. Choisir des petits poissons, genre sardines ou des tranches. Les vider, couper la tête et la queue, les couper en deux ou trois selon la grosseur.
Ajouter les morceaux de poisson à la préparation. Laisser cuire.
Pendant ce temps, râper une demi noix de coco, mixer la poudre obtenue avec deux verres d’eau pour obtenir comme un lait.
Ajouter ce mélange à la préparation. Bien remuer.
Vérifier l’assaisonnement.
La sauce devient onctueuse. La laisser bouillir quelques instants. C’est prêt !
Servir ces plats avec :
— Du riz blanc cuit à l’eau salée
— Des padam, petites galettes croustillantes cuites à l’huile (à acheter toutes prêtes et fraîches) ; faire un trou au centre pour éviter qu’elles ne gonflent trop. Les retourner très vite, elles doivent rester jaune clair. On peut préparer les padam à l’avance. On les conservera dans un grand pot en aluminium muni d’un couvercle, tapissé dans son fond des papier journal pour absorber l’huile.
Graines de soja au chili
— 1 oignon haché
— 1 tête d’ail hachée
— 3 ou 4 petits chilis frais, coupés en gros tronçons
— 1 c. café de graines de cumin
— ½ noix de coco râpée très fin
— Quelques feuilles de kori
Passer au mixer, sans rajouter d’eau, tous les ingrédients sauf l’oignon et les feuilles de kori.
Faire revenir dans un peu d’huile 1c.café de gaines de moutarde, 3 chilis secs et rouges coupés en tronçons.
Ajouter au mélange les oignons et les feuilles de kori, le mélange mixé, 1c.café de poudre de tuméric.
Bien remuer sur feu vif. Le mélange est sec.
Ajouter cette préparation aux haricots déjà cuits. Remuer.
Vérifier l’assaisonnement. C’est prêt : very hot !
Servir ces haricots très pimentés avec du riz rose du Kerala cuit dans de l’eau légèrement salée.
28 février
- Gest house, rien que pour nous
Je ne comprends pas, je dors mal dans cette guest house et pourtant l’endroit m’enchante et me transporte. C’est la troisième fois que nous logeons ici. L’électricité a été refaite, la salle de bain aussi. Le mobilier lui n’a pas changé, disparate, usé, troué, livré à l’abandon.
Les grands stores verts qui protégeaient la terrasse du soleil sont tombés et personne ne les a remplacés.
La journée et la soirée se déroulent dans la paix, mais la nuit, je n’arrive pas à m’abandonner au sommeil. Je n’arrive pas à me laisser aller. Quand enfin je m’endors, je me réveille une heure plus tard, suite à un mauvais rêve. Je ne cesse de faire des cauchemars, je suis tourmentée. Est-ce dû à l’immensité de la pièce, à son plafond sans fin, au bruit de la climatisation qui me rappelle inconsciemment la mer agitée de Trincomalee et la vague du tsunami ? J’entends continuellement des bruits étranges, des craquements, des grignotements (un rat n’est-il pas en train d’essayer de manger le bois de la porte ?), des pas, quelqu’un n’essaie-t-il pas de rentrer dans la chambre ? Y-a-t-il un promeneur sur la terrasse ? Finalement, je crois que les enfants ont raison, cet endroit est repli de fantômes...
1er mars
Nous prenons le train pour Trivendrum, capitale de l’Etat du Kerala.
Trivendrum. Un peu d’errance dans la ville, son bazar, ses temples. Rien d’exaltant. Enfin si un temple magnifique précédé d’un bassin mais interdit aux non hindous.
Impossible même de regarder à travers les portes. Pour la première fois, je vois un brahmane avec un bâton. Mais sans agressivité. Paul est furieux, il voulait dessiner dans ce temple, ces lieux silencieux et sacrés l’inspirent
Je n’arrive pas à savoir depuis combien de temps cette interdiction existe. Les gens ne comprennent pas ma question. Invariablement ils répondent 500 ans ! ce qui est l’âge du temple...
Il y a quand même des choses intéressantes à Trivendrum. Bruno a découvert un Web Center d’où il peut correctement travailler. Il y a une Alliance française à visiter et la plus ancienne bibliothèque publique de l’Inde. Deux beaux articles à écrire pour biblio.fr en perspective. J’ai aussi trouvé un sympathique petit hôtel « Saphire Lodge » sur la colline proche de la gare, propre et très calme où l’on dort très bien. Seul point négatif : il n’y a pas une seule prise ! L’électricité coûte-t-elle donc si cher ?
Enfin nous avons fait expérimenter aux enfants leur premier restaurant « on the roof », la nuit, sur le toit d’un immeuble. On y mange de la viande, de délicieux tendoris et on boit de la bière, le tout dans la pénombre d’une lumière teintée de rouge. La loi au Kerala est stricte, pas d’alcool en dehors de certains lieux autorisés et fermeture obligatoire de tous les bars chaque premier du mois.
2 mars
Trivedruem 7h30
L’air est encore frais. Des femmes, des intouchables en sari sale, balaient la rue. Elles forment des petits tas qu’elles brûlent peu à peu. Une fumée âcre se répand dans tout le quartier.
Les gens vont travailler d’un pas tranquille, la journée commence tôt en Inde. Après il fait trop chaud. A chaque angle de la rue, un tas d’ordure, plus ou moins calciné. C’est le tour des rats et des corneilles à chercher leur pitance. Rien ne se perd. Il n’y a pas de service de ramassage de poubelles et d’ailleurs les poubelles ici, ça n’existe pas.
Les rickshaws descendent la rue en slalomant entre les trous. Je salue le patron de la Sreekumar Lodge, un homme tout sourire qui m’a fait visiter son hôtel quelques jours plus tôt. Des chambres crasseuses aux draps troués, des fenêtres sans vitre alors que Trivendrum est assailli par les moustiques et que nous sommes dans une zone de paludisme. Vraiment pas un endroit où rester.
Je trouve un petit tchai shop et m’assois sur un banc minuscule déjà occupé par deux indiens. Ils se lèvent aussitôt pour me laisser la place. Je la prends en souriant et les remercie.
Je sors mon journal et commence à écrire.
Ils me regardent remplir les pages, penchés par dessus mon épaule. Trois hommes en dhoti bleu, la chemise débonnaire, la raie parfaite. Un verre de thé à la main ils commentent.
En Inde, on jouit immédiatement d’une certaine considération quand on écrit ainsi en public. D’abord, parce que notre alphabet les étonne, en comparaison de leur écriture Malayan toute en rondeur et en boucles, mais aussi et surtout parce que la plupart des gens de la rue ne savent pas écrire.
Un rickshaw passe, ralentit à mon niveau. Nos regards se croisent :
— Rickshaw ?
me lance-t-il.
De l’autre côté de la rue, ils sont debout devant la cabane misérable d’un autre tchai shop, comme des enfants collés au sein de leur mère. Ils boivent leur thé du matin, immobiles, frileusement serrés les uns contre les autres. Ce tchai shop n’a pas même un tabouret à leur proposer.
Comme d’habitude, je me suis levée de bonne heure. Quelle que soit l’heure à la quelle je me couche, je me réveille à 7 heures parfois encore plus tôt.
Comme si l’aube me parlait, comme si la rue m’appelait.
J’aime goûter au matin frais quand la ville et les gens se réveillent. Je pense moi aussi au plaisir à venir d’un bon thé brûlant qui va me réveiller tout doucement, me faire glisser sans heurt et sans violence dans ce matin indien.
Je ne me lasse jamais de regarder le savoir-faire du marchand de thé, je guette les deux petits coups secs de la cuillère contre le bord du verre, son geste magnifique quand il mélange le thé au sucre et joue avec le liquide comme s’il s’agissait d’une écharpe de soie.
La rue, jamais pareille. Ce marchand de thé où je suis aujourd’hui n’était pas là hier, ni ce repasseur de chemises. Peut être change-t-il de rue chaque matin, sa charrette ne semble pas bien lourde. Pour quelques roupies on peut faire repasser sa chemise, qu’elle soit propre ou sale. Toujours utile pour celui qui part au travail ou espère en trouver un...
Trop de rickshaws à Trivendreum ! Comme des pucerons sur une tige de coquelicot, ils s’agglutinent autour des places, à l’entrée des stations de bus, tout au long des angles des carrefours. Désoeuvrés, les chauffeurs attendent, les bras derrière le dos. Ils ont déjà bu plusieurs thés, l’attente leur coûte cher. Alors ils m’interpellent gentiment, déclinent tous les lieux touristiques qu’ils connaissent, me proposent de m’attendre, de revenir me chercher. Ils vous prennent même s’ils ne connaissent pas la destination, ils trouveront toujours un collègue pour les aider, toujours quelqu’un qui a la solution.
Fatalement, les chauffeurs de rickshaw se retrouvent devant la boutique du chai shop. Ils ont craqué. Ils reboivent un thé.
Le premier de la file a gagné une course. Ils se précipitent et poussent leur véhicule d’un mètre. Toujours ça de gagné...
Liste de ce qui n’existe pas en Inde au niveau hygiène et qu’on aimerait bien trouver :
— des poubelles dans la rue et dans la chambre
— du savon pour se laver les mains (on se passera de serviette, car le risque est trop élevé de se resalir les mains en s’essuyant)
— un drap de dessous propre à l’hôtel (c’est à dire que l’on ne réutilise pas le drap du client précédant)
— un drap de dessus propre (même remarque que pour le drap de dessous)
— une cuillère pour manger au restaurant ( nous on ne sait pas manger du riz avec les doigts, et on aime pas faire « la pâtée »
— du papier toilette
— des kleenex
— des éponges
— des serviettes en papier au restaurant
— des tables propres lavées avec un produit détergent et non pas seulement essuyées avec un chiffon gras de crasse
— des toilettes publiques
— l’interdiction de cracher
— l’interdiction de se moucher dans la rue
— l’interdiction de prendre la mer pour des toilettes
— des laveries automatiques
3 mars
La descente en train vers Kanyakumari est immuablement merveilleuse car on a l’impression de se déplacer sur une carte géographique. On roule vers la mer en traversant une plaine fertile recouverte de champs de blés, de plantations de bananiers et de palmiers. L’eau y est généreuse, elle coule dans des canaux, miroite dans de grands bassins naturels envahis de jacinthes ou pointent des fleurs de lotus. Dans le lointain se dressent les montagnes, sèches et brûlantes. A leurs pieds, chues d’on ne sait ou, d’énormes boulets de rochers noirs.
Les maisons blanches supportent des toits pentus, les troupeaux de chèvres et de moutons noirs ressemblent à des poignées de graines jetées au hasard du vent.
Le train avance lentement, s’arrête parfois en pleine campagne pendant de longues minutes.
Je regarde par la fenêtre. Des femmes lavent leur linge dans l’eau verte des bassins. De temps en temps l’une d’entre elles se lève et se lave à son tour dans l’eau émeraude. Elle s’enfonce et disparaît. Se relève prestement, penche la tête en arrière, passe ses paumes ouvertes sur son visage ruisselant, lisse sa longue chevelure. Le bain de ces femmes ressemble à une prière, rythmé comme un rituel.
La chaleur augmente. Zoé sommeille sur mes genoux, Paul dessine assis sur ses jambes repliées. Bruno commence le livre que je viens de terminer « Ebène ». Un exceptionnel récit, terrible et cru sur la réalité africaine, écrit par un journaliste polonais. Un portrait de l’Afrique tout en guerre, sécheresse et faim.
Terrifiant. Il faut lire ce livre.
Nagercol Jonction, dernier arrêt avant Kanyakumari. La gare est en chantier, les rails ont été changés, les couleurs ravivées. A l’ombre d’un hangar, les ouvriers, leur dhoti remonté jusqu’aux cuisses nous saluent.
Le paysage des rizières reprend. Le récolte se poursuit. A la queue leu leu des paysans marchent sur les chemins étroits. Ils transportent sur leur tête d’énormes ballots de riz. De loin, avec leurs membres grêles et leur énorme charge, on dirait une colonie des fourmis.
Dans les champs inondés pour les prochaines récoltes, les buffles sommeillent, immergés jusqu’au ventre. Sur leur dos s’agitent quelques aigrettes. Une scène qui me fait penser au Vietnam. Non, il manque les enfants assis sur leur dos.
Le train file de plus en plus vite, serait-il pressé d’arriver ? Soudain, la montagne disparaît. Le ciel devient bleu gris, un ciel de chaleur blonde. On voit la terre rétrécir, les champs devenir minuscules puis disparaître à leur tour. Ils font place à une terre rouge et sèche, domaines des acacias à longues épines et des chèvres impatientes.
A ce stade du voyage, plus un seul marchand de thé ou de nourriture ne s’aventure dans le train. Ils savent que non seulement les voyageurs se font rares mais surtout qu’une fois arrivé en gare, le train ne repart que le lendemain
Le train s’arrête. Voilà, on est arrivé à Kanyakumari.
Je me penche à la fenêtre pour vérifier, mais c’est inutile. Terminus, tous les voyageurs descendent.
Nous remontons sous le soleil toute la longueur du train, qui nous laisse sur ce bout de terre du bout du monde dans les bleus mêlés de la mer d’Arabie, le golfe du Bengale et l’océan indien.
- Kanyakumari, la fin de l’Inde
4 mars
Le mausolée de Gandhi.
C’est un bâtiment tout rose constitué d’une grande coupole et de deux minarets en forme de pains de sucre, posé à quelques mètres du rivage. L’entrée est libre, il faut laisser ses chaussures à la consigne.
A l’intérieur il n’y a rien. Un grand espace qui suit la forme de la coupole, une ballade qui nous ramène au point de départ.
Le tsunami n’a pas épargné le mausolée. Il a cassé les vitres des fenêtres les plus proches de la mer, emporté deux grandes photographies de Gandhi. Rien n’a été remplacé. En envahissant le mausolée, l’eau a fait exploser les deux grandes portes latérales à l’arrière du bâtiment. Aujourd’hui elles sont fermées avec de grosses pierres. Qu’aurait pensé Gandhi de cet événement ? Il ne reste de lui qu’un cube de marbre à l’avant de la crypte, au-dessus un œil de lumière laisse passer un rayon de soleil le 2 octobre de chaque année. C’est le jour de la mort du mahatma. On dit que le rayon de soleil éclaire cet autel de marbre où furent déposées ses cendres peu avant l’immersion. Est-ce l’esprit de Gandhi qui revient sous la forme d’une lumière divine ?
Bien peu de visiteurs. Les Indiens ne viennent pas à Kanyakumari pour rendre hommage à Ghandi mais pour le temple Kumari Hamman, dédié à la déesse Parvatihi, véritable lieu de pèlerinage. Le dimanche, la foule débarque par cars entiers, descend en grappes vers le rivage où se trouve le temple et quantité de boutiques de souvenirs.
A la différence des Indiens, qui « passent » dans le mausolée, sans s’arrêter et le parcourent comme quand ils se trouvaient au temple, c’est à dire en une rapide déambulation, je prends mon temps.
C’est la troisième fois que je le visite, il est pour moi un lieu de pèlerinage très personnel. J’aime regarder la galerie de photos noir et blanc qui relate la vie du mahatma, la première le montre dans son costume de jeune avocat à Londres, la dernière est un grand portrait de profil, il sourit, vieux et édenté. Gandhi est né le 2 octobre 1869. Il a visité Kanayakumari le 15 janvier 1937 et a été assassiné le 30 janvier 1948. Il avait émis le souhait que ses cendres soient dispersées ici, en cet endroit de l’Inde où se rejoignent « les trois eaux ». Son vœu a été respecté. Treize jours après sa mort, ses cendres ont été jetées dans l’océan.
Au fond de la crypte, se trouve un bas relief du maître en posture de méditation et une citation :
« A am writing this at the Cape, in front of the see, where three waters meet and funish a sight equequalled in the world. For this is no port of call for vessels. Like the Goddess, the waters around are virgin”
Des jeunes filles en costume de collégienne se prennent en photo devant le bas relief, puis c’est au tour d’une famille à parcourir le mausolée à toute vitesse, sans même jeter un œil aux photographies.
Je me retrouve seule, absolument seule.
Par la fenêtre béante j’entends la cloche du temple et la mer qui frémit.
Sur le sol glacé, quelques fourmis égarées cherchent leur chemin.
Au moment du coucher du soleil, tout le monde se rassemble sur le front de mer. Des bancs ont été installés, c’est un moment magique et irréel. Ensuite la nuit tombe comme une chape et tout le monde se disperse.
Les Indiens rentrent chez eux et nous à l’hôtel pour une nouvelle douche rafraîchissante avant le repas du soir.
Après la nuit commence
8 mars
Aujourd’hui j’ai beaucoup fait rire les enfants.
Je suis partie en bus à Nagercol, une ville commerçante et bien plus grande que Kanyakumari. J’avais trois objectifs : retirer de l’argent, faire réparer une chaînette et m’acheter un maillot de bain. J’ai en effet perdu le mien dans le tsunami.
J’ai atteint les deux premiers objectifs sans difficulté. Quant au troisième...
Au premier magasin, on m’a fait monter au deuxième étage et trois messieurs charmants m’ont proposé un jean.
Au second magasin, les filles ont rigolé, elles ne connaissaient pas le mot. Elles m’ont renvoyée vers un magasin de confection pour hommes qui ne vendait que des pantalons et des chemises.
Au troisième magasin, spécialiste du prêt à porter (ready made), on m’a fait gravir trois étages. J’ai été accueillie par une poignée de vendeurs désoeuvrés. Ils m’ont proposé un T shirt de sport taille XXL
Au quatrième magasin, ils ont été honnêtes, ils n’en avaient pas d’ailleurs ils ne savaient même pas de quoi il s’agissait.
Au cinquième magasin ils m’ont dit d’aller à Trivendrum (à 86 kilomètres de là )
Au sixième magasin... Je ne suis pas entrée, j’ai abandonné. Je me suis dit qu’il fallait trouver une autre idée. Alors en regagnant la station de bus, je suis tombée sur un vendeur de rue. Il avait déposé sur un plastique quelques culottes, deux ou trois écharpes, des maillots de corps. J’avisais aussi un short cycliste noir, paré de deux bandes jaunes fluorescentes, une grossière imitation de la marque Adidas. En complétant le bas avec un maillot de corps blanc, j’ai composé mon maillot de bain. Un mélange sportif des années 1930...
Quand j’ai déballé mes emplettes devant les yeux de tous, Paul et Zoé étaient écroulés de rire sur le lit. Bruno a dit :
— Tu ne seras pas capable de mettre ça, on voit tout.
Ne pas oser ? Il se trompe. Le soir même nous étions à la plage, une plage de sable fin, déserte, une eau presque trop chaude et seulement quelques crabes pour nous tenir compagnie.
Comme je l’avais prévu mon maillot improvisé s’est collé à mon corps et je l’ai oublié aussitôt. La mer est dangereuse, on ne s’aventure bien loin, impossible de nager, on ne fait que jouer dans les vagues.
Voilà, mon maillot je vais le garder durant tout notre séjour en Inde. Finalement je me rapproche un peu des indiennes qui se baignent toutes habillées, dans leur beaux saris colorés mais elles, elles ne savent pas nager.
Nouvelle
Dorine (à écrire)
9 mars
C’est triste une bibliothèque abandonnée.
C’est ce qui est arrivé à celle de Kanyakumari. La trouver n’a pas été facile car elle se cache derrière les boutiques de souvenirs qui forment devant elle comme une barricade.
Pourtant elle a existé. Une citation de Gandhi lui prête même longue vie en 1937.
C’est un bel endroit, une grande bâtisse carrée aux volets bleus ajourés qui laissent passer un léger courant d’air. A l’intérieur de grandes tables en bois, des ventilateurs.
On pense à une école. On a vraiment envie de s’installer dans ce silence, de s’asseoir sur ces bancs polis, de commencer à tourner les pages d’un vieux bouquin qui sent un peu le renfermé. Mais il n’y a plus de livres, seulement un homme, qui dort la tête entre les bras.
Sur l’un des côtés se trouvent deux grands battants de bois sombre qui forment comme une grande porte. Je gravis quelques marches et je l’ouvre. Devant moi une grille bien cadenassée. On peut quand même regarder à travers. Dans la pénombre j’aperçois des armoires vitrées laissées à l’abandon, des piles de vieux journaux, beaucoup de désordre. Dans les armoires je distingue encore quelques livres couchés, tapissés de poussière.
Le bureau du bibliothécaire n’a pas bougé et le panneau à l’entrée nous invite toujours à enlever nos chaussures avant d’entrer.
C’est triste une bibliothèque abandonnée.
Je n’arrive pas à savoir ce qui s’est passé.
Chaque matin, quelqu’un vient déposer sur l’une des tables le journal du jour.
C’est tout ce qu’il reste de la bibliothèque.
Une graine.
A planter ?
10 mars
Lever de soleil, 6h30 du matin
C’est aujourd’hui que nous aurions dû quitter l’Inde. Je suis allée faire changer nos billets de retour. Je les ai déplacés jusqu’au 20 avril, Quarante jours supplémentaires...
Je suis toujours étonnée de la longueur de chacune de nos installations. Quand on est bien dans un endroit, on reste. On ne compte pas les jours, on vit.
Un matin ou un soir on a une déception. C’est un signe. Il faut savoir le voir. L’entendre. C’est le signe qu’il faut partir. On avait oublié que l’on avait des sacs, que l’on transportait notre maison avec nous, que c’était lourd.
Notre maison peut prendre racine partout et en même temps elle se trouve nulle part. Ce lent cheminement pourrait durer longtemps. On ne se fatigue pas, on s’installe dans la durée, on prend des habitudes. Boire le thé toujours au même endroit, saluer le vendeur de bananes, faire un signe au chauffeur de rickshaw, dire au marchand de thé que l’on va réveiller les enfants car il les attend avec des gâteaux tout frais.
Une vie de petits riens, de petites tendresses, de sourires. Une vie où l’on respire, où le temps roule. Les jours sont ronds, les nuits paisibles. Les mois ne veulent plus rien dire. On meurt de chaud en décembre, on se baigne en janvier, on fête l’anniversaire de Bruno sous la nuit étoilée. On respecte le dimanche toutefois. Grâce aux enfants. C’est le seul jour de la semaine où ils n’étudient pas.
De la boutique d’un nouveau chai shop (ma place favorite était occupée par deux européens, j’ai fui dans un nouvel endroit), j’observe la rue.
Ils passent, descendent ou remontent du temple, les pèlerins venus de l’Inde entière. Je reconnais les Rajastanais à leur turbans gonflés et colorés, aux saris vermillon des femmes, à la couleur de leur peau. Les Rajastanais sont longs et secs, les Bengalis clairs et beaucoup plus gras.
Ils transportent des valises bon marché, des sacs en toile de jute, des baluchons. Les vieux shadous dans leurs habits orange, la barbe longue, le cheveu hirsute passent en papotant, le pas alerte.
Le serveur, la soixantaine a plutôt l’air d’un intellectuel avec ses lunettes en écaille, son visage émacié, sa tenue impeccable. Les mains derrière le dos, il regarde la rue. Pas le courage haranguer le client. Peut être écoute-il les informations en anglais que diffuse (bien trop fort à mon goût) une radio haut perchée.
Au deuxième thé, la sueur coule. Le patron active le ventilateur. Attentionné, le préposé à la déserte passe un chiffon crasseux sur la table, de quoi ravir les mouches.
J’appelle le vieux serveur. Il arrête la radio et se penche vers moi :
— Savez-vous pourquoi la bibliothèque est fermée ?
Hélas, il ne sait pas. Il me dit qu’on peut y lire les journaux. Un seul, je précise. Non c’est le gouvernement qui a fermé précise-t-il. Personne ne lit ici.
Une mendiante attend devant la boutique. Au milieu de la rue. Nus pieds et sans bijoux, les cheveux coupés courts. Elle ne dit rien, se gratte le dos. Elle attend. La misère a creusé son ventre, voûté son dos, tracé deux large sillons le long de sa bouche. Sa présence est sa parole.
Le serveur lui donne quelques beignets enveloppés dans une feuille de bananier.