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2005 : Journal de voyage en Corée

dimanche 23 novembre 2008, par Sylvie Terrier

17 mai

Arrivée à Busan, au sud de la Corée. 1h30 en avion à partir de Shanghai

La Corée vue d’avion, une terre découpée qui plonge dans la mer du Japon, étonnement boisée et verte. Entre les collines et les montagnes, au creux de sinueuses vallées se nichent les habitations. Des maisons aux toits recourbés couverts de tuiles grises pour les plus traditionnelles, souvent de couleur bleue. Un bleu cyan extrêmement vif que l’on trouve même sur les usines. Jusqu’à présent, personne n’est arrivé à m’expliquer la raison de cette couleur.

Car les couleurs fusent en Corée, nées d’une nature partout présente : petits jardins de style japonais, grandes forêts sauvages, pentes abruptes où l’on fait du ski, succession de champs en terrasse pour la culture du riz.
En Corée, 70% du territoire est occupé par les forêts.
Les Coréens en sont les troncs.

Jon nous attend à l’aéroport. Il a l’air décontracté avec son blouson clair et son pantalon tombant. Il porte des lunettes rondes, comme celles de Bruno.
Belle voiture blanche Yundai, comme il se doit puisqu’il travaille pour cette boîte. Nous sommes en Corée officiellement pour raisons professionnelles.

Jon a tout prévu. Il nous installe dans un grand parc historico-touristique, dont une partie, celle des hôtels est implantée autour paisible lac Bomun. La nature de nouveau surgit de tous côtés. Le silence règne (sauf quand les Coréens louent une chambre et boivent toute la nuit).

Nos enfants explosent de joie, ils dorment sur le sol, sur un futon de satin jaune, dans une pièce absolument vide, un grande espace couvert de lino doux et chaleureux.
C’est décidé, ils veulent un futon dans leur prochaine chambre...

Nous découvrons la cuisine coréenne grâce à Jon. Ensemble nous dégustons de fines tranches de bœuf cuites au barbecue, du sushimi (poisson cru), différentes soupes à base de poisson ou de tofu. Tout les repas sont accompagnés de végétaux froids en semi conserve : le traditionnel kimchi, des bourgeons en gelée, des légumes verts, du radis râpé... Nous saisissons les lamelles de viandes grillées et le posons sur de belles feuilles de salade fraîches, ou sur des feuilles de chou finement frisottées ou encore sur des feuilles pointues au fort goût de menthe. On adore croquer dans cette verdure fraîche, d’une pureté absolue. Rien n’est gras dans cette cuisine brute et épicée.

Découvrir et goûter à la cuisine d’un pays, c’est accéder à sa culture.

Jon dans le fond est nerveux et stressé. Il fume sans arrêt. Si le repas prend un peu de temps et avec nous cela arrive fréquemment, il se lève et sort fumer une cigarette. Il rit souvent et plaisante avec les enfants qu’il adore, surtout Zoé qu’il appelle Princesse. Il parle mal anglais mais de jour en jour son vocabulaire s’améliore. Il a appris le français tout seul et le soir quand il nous ramène à l’hôtel, il s’exerce dans sa voiture.

Sa femme, petite et boulotte n’est vraiment pas jolie. Ce soir elle nous accompagne au restaurant de suchimi. Ils n’échangent aucune geste d’amour ni de tendresse.
Les Coréens comme les Asiatiques en général ne montrent pas leurs sentiments. Je ne sais pas ce que Jon connaît du romantisme (il est déjà allé plusieurs fois en Europe), en tous les cas on a vite compris qu’avec sa femme ce n’était pas le grand amour.

20 mai
Nous quittons les rives du lac Bomun pour Busan. Une idée de Jon, qui toujours très attentionné nous invite à passer le week end dans la plus importante ville du sud de la Corée. En chemin, visite du temple bouddhiste Bulguksa. Le temple se trouve en pleine forêt. Une foule colorée d’écoliers, des personnes âgées, d’habitués du week end, s’éparpille dans les nombreux sanctuaires, numérise les souvenirs. Curieusement pas de dévotion ni de prières.

21 mai
J’écris face à la mer, du quatorzième étage de notre hôtel à Busan. Nous sommes un peu surpris du standing de l’endroit. Nous étions si bien ce matin au temple, dans la lumière et le soleil. J’ai dit à Bruno :
- Vous pouvez partir sans moi, je reste ici.

A Busan, Nous sommes loin du centre ville et ainsi logés nous ressemblons à des touristes, ce que bien sûr nous n’aimons pas.

La mer sort doucement de la brume, le soleil dore la coque des petites barques de pêche parties relever les filets. Car l’activité du bord de mer tourne autour de la pêche et des petits restaurants de rue. Soir et midi, on trouve dans les viviers des poissons frais pour sushimi. « Ils découpent le poisson vivant ! » dit Zoé qui n’a pas vu, tant elle le fait vite, le coup de bâton que donne la poissonnière pour assommer le poisson. En trois minutes, il passe de son vivier à notre assiette.

La chair est fraîche et ferme, découpée en lamelles. On mange le sushimi posé sur une feuille de salade, relevé d’une goutte de raifort mêlée à de la suce de soja. Les poissonnières, en bottes et gants de plastique semblent taillées pour résister à tous les temps. Petites et robustes, elles n’ont rien de féminin, celle qui nos sert a les pommettes aussi brillantes qu’un parquet vernis. Elle ne parle pas un mot d’anglais mais essaie de communiquer avec nous.

On vient de Chine, on connaît maintenant la manip pour commander quand on ne parle pas la langue : montrer sur une table voisine ce que l’on veut, commander la même chose. Pour connaître le prix, c’est avec les doigts que l’on compte, un doigt étant égal à 1000 won, la nourriture comme tout le reste en Corée n’est pas donnée, il faut donc penser à vérifier le nombre de Zéro...

Hier soir les enfants ont installé deux chaises sur le balcon face à la mer. Mais pour l’instant ils dorment, enfouis dans leurs couettes posées à même le sol. La mer se divise en deux, grise veinée par les traces des bateaux au loin, vert tendre au premier plan. Je fais chauffer de l’eau pour un café.

22 mai
Ce matin au programme, visite du marché Jagalchi

Préparation du kimchi : Rouge du piment

Les petits poissons pour la marinade du kimchi

Le légume avant sa préparation : du chou vert

Sur le port, repas de coquillage dans une minuscule gargote. Deux tables, quatre bancs et une mémé pour la cuisine. Elle s’affaire autour de nous, en quelques minutes, elle dispose devant nous un jardin de fraîcheur pour accompagner nos buccins pimentés.

Ensuite nous nous séparons. Je pars visiter l’Alliance française et une bibliothèque publique afin de rédiger un nouvel article pour « Bibliothèques autour du monde ». Bruno et les enfants se lancent à l’assaut de la citadelle.

La ville est moderne mais vide de gens. Je n’en reviens pas. Où sont-ils ? D’autant que ceux que nous voyons sont la plupart du temps âgés. Il y a très peu d’enfants en Corée, bine que le nombre de naissances ne soit pas limité comme en Chine.
Pas d’enfant. Trop de stress ? Pas de place dans l’emploi du temps pour se consacrer à l’éducation des bambins ? Education trop chère ?

La bibliothèque domine la ville tout en haut d’une colline, à l’arrière plan s’étale tout un quartier d’habitation. Des maisons toutes simples, très colorées : une palette de bleu, de gris, d’ocre, de vert, de rouge bordeaux. Sur les toits plats, des réservoirs d’eau, des bidons bleu cyan et les jardins, des dizaines de petits jardins. Je retrouve les salades vertes veinées de rouge, les cebettes, le chou frisotté la menthe dentelée et je comprends alors d’où viennent les légumes des mémés du marché... du toit de leurs maisons !

La Corée :

- On mange du frais
- Les gens nous aident et nous sourient
- Il y a de la verdure
- Les toits des maisons sont bleus et on ne sait pas pourquoi
- On a mal aux genoux à force de s’asseoir sur le sol
- Il fait beau mais dès que la nuit tombe, la fraîcheur tombe aussi
- On mange des Kim Bap chez la mémé du marché
- On apprend la cérémonie du thé
- On rencontre un peintre célèbre
- Les gens sont francs et directs
- Comme le Chinois, les Coréens mangent tout le temps
- Toutes les mémés se ressemblent

25 mai
Les mémés du marché à Ulsan

Mémé du marché

Elles sont petites et robustes les mémés du marché.
Elles portent de larges visières qui leur cachent la moitié du visage. Leurs cheveux frisés, éternellement bruns, dépassent tout autour. En Corée, une peau blanche est signe de beauté. Le parapluie sert à se protéger du soleil. Ces paysannes, exposées toute la journée à l’air et aux intempéries considèrent le soleil comme un ennemi. La visière fait partie de leur tenue vestimentaire. On a l’impression qu’elles ne l’enlèvent jamais, même la nuit tombée la visière trône dans les chevelures. Peut être l’ont-elles oubliée. Elles en ont plusieurs. Si le client ne vient pas et que l’ennui les surprend, elles basculent la visière sur les yeux et s’assoupissent. Nous qui passons ne voyons qu’un tas d’habits ratatinés et sans visage.

Souriantes, quelques-unes s’autorisent un petit coup de rouge à lèvre.
Elles vous offrent leur jardin, quelques plaques de tofou, des fruits, du poisson séché. Des soupes aussi qu’elles préparent sur place. Soupe au potiron, soupe aux haricots noir et aussi des Kim Bap, les nori en Japonais, du riz serré en rouleau dans une feuille d’algue qu’elles saupoudrent de graines de sésame. Vous pouvez aussi manger sur place, mais attention, elles ne disposent que de trois tabourets...

Les mémés, on les retrouve chaque matin au marché. Pas de jour de repos. Seulement le temps de la sieste sous la visière. Elles arrivent les yeux cernés, des manchons passés par-dessus leur chemise ou leur pull over. Eté comme hiver, elles accumulent les couches de vêtement. Elles soulèvent et plient la bâche qui protège leur étal, ouvrent un parasol multicolore, remontent les pyramides de fruits et de légumes, les tomates joufflues, les melons jaunes, les grosses pastèques vertes veinés de blanc. Quand tout est prêt, elles s’installent au milieu, comme un fruit mûr au cœur de leur jardin.

Entre elles, solidarité. Elles papotent, s’invitent à déjeuner. L’une fournit le riz, l’autre a préparé une salade pour quatre, elles partagent. Elles mangent froid et boivent du saké coréen. Elles ne cessent de papoter et de rire, on aimerait bien savoir ce qu’elles se racontent.

Ce midi notre mémée des Kim Bap n’est pas à sa place habituelle. On s’inquiète. Sur la table recouverte de toile cirée, les trois tabourets sont relevés, inertes. On n’arrive pas à savoir ce qui s’est passé. Simplement elle n’est pas là. Il y a un trou dans le marché. Une âme manque. Notre mémée des nori est minuscule, tassée dans ses épaules. Ses doigts tordus par l’arthrose roulent à merveille les feuilles de nori.

Devant elle, une large bassine dans laquelle elle entrepose tous ses ingrédients : navets coupés en longues lanières, jambon fumé, concombre, soja, surimi, rien ne manque. Un quart de tour sur la droite, elle plonge la main dans sa marmite de riz. Un petit mouvement en avant et elle tire d’un sac en plastic une fine feuille d’algue noire. Elle pose la feuille devant elle, écrase la boule de riz en son centre et l’étale soigneusement. Tâche de lumière sur ce carré de nuit. Puis sur cette blancheur, elle pose les bâtons de couleur, le jaune du navet, le rose du jambon, le vert du concombre, le brun de la crêpe de soja. Elle roule en serrant bien. Et voilà, c’est déjà fini.

La mémée des Kim Bap ne porte pas de visière, son étal est à l’abri de plusieurs couches de plastiques. Son visage est lisse et plat, ses cheveux légèrement teints en roux. Ses petites dents écartées lui donnent un air robuste. Elle se lève. Elle est si petite ! Elle marche en se tenant la hanche, tordue, cassée, tout en déséquilibre. La mémé est poliomyélite depuis l’âge de cinq ans. Elle a poussé tout de travers. Des bras robustes, mais ses jambes, deux bâtons sans muscles qui parfois refusent même de la porter. Six opérations. Prédestinée au fauteuil roulant. L’a refusé. Est même parvenue à avoir trois enfants. C’est pour eux qu’elle travaille au marché. Pour leur payer des études. Elle s’installe derrière sa petite table et ne bouge plus. Ne se lève que pour aller manger avec ses copines à l’angle de la rue, vingt pas seulement à parcourir. Elle souffre mais ne dit rien. Enfile son imperméable rouge.

- Vous n’avez pas froid vous avec ce vent ? Nous fait-elle comprendre sans sourire.
On ne parle pas coréen mais on la comprend. Non, nous n’avons pas froid parce que nous sommes au soleil, c’est elle que le froid mord, tout au creux de l’ombre...

27 mai
Nouvelle
L’inconnu du Joong Ang

L’hôtel était en briques sombres et avait la forme d’une tour. La réception du rez-de-chaussée avait été fermée, derrière les vitres noircies de fumée, on avait l’impression qu’à l’intérieur du bureau tout avait brûlé.

Il fallait emprunter l’ascenseur, un vieil engin poussif et sans mémoire pour monter au premier. Là se trouvait le nouveau bureau d’accueil et un vaste salon qui se voulait luxueux avec ses lustres de perles de verre qui ressemblaient à des poulpes renversés. Il y avait aussi des tables massives, des fauteuils dodus en forme d’escargot. Le plafond était bas et laqué, de couleur chair, soutenu par d’énormes piliers ronds. Des bacs remplis de fleurs artificielles décolorées, rongées de poussière donnait à l’ensemble une impression de profond abandon.

Quand la jeune femme arriva au bureau d’accueil, il n’y avait personne. Elle appela à plusieurs reprise mais sans succès. Pour passer le temps, elle s’amusa à dessiner du bout du doigt de petits chemins sur le sable d’un jardin zen miniature. Il y avait aussi une cloche de bronze mais aucun ustensile pour la faire teinter. Sur le mur du fond, cinq horloges indiquaient l’heure à Seoul, Londres, Paris, Tokyo et Hong Kong. Toutes étaient fausses et pourtant aucune n’était arrêtée.

Elle se mit à arpenter la salle et ses pas résonnaient sur les dalles de marbre rose, mais personne ne se montra. Elle pensa que cet hôtel avait été déserté suite à une épidémie ou une malédiction. Elle apprit plus tard qu’il était resté longtemps fermé suite à plusieurs incidents douteux, on disait qu il avait servi de love hotel à des hommes amateurs de très jeunes filles. La police avait mené une enquête, le propriétaire avait fini par vendre l’établissement.

Aujourd’hui l’hôtel fonctionnait à nouveau. Rien ne manquait, le bureau de renseignements, la caisse enregistreuse, les brochures touristiques, simplement il n’y avait personne à la réception. Un hôtel à votre disposition mais que vous ne pouvez pas utiliser.

La meilleure solution restait donc la patience. La jeune femme gagna un fauteuil escargot. Le tissu était tâché et délavé, mais on y était confortablement assis. Par la fenêtre ouverte montait les bruits de la rue. Un son de voix continu provenait de l’arrière du comptoir. Une télévision pour sûr. Le réceptionniste était-il donc là, endormi devant l’écran ? Elle se leva et se glissa entre le comptoir et la vitre où une petite porte était restée ouverte. Personne. Rien qu’un réduit de célibataire, un lit minuscule, une chaise pliante et un cendrier rempli de mégots.

Attendre à nouveau. Elle regagna le fauteuil escargot et se détendit. Elle n’avait pas d’autre choix. Dans ce quartier, les hôtels étaient rares, elle n’en avait trouvé que deux celui ci et un autre en bordure d’une avenue bien trop bruyante. Et puis c’est ici qu’elle voulait rester. Déjà elle aimait le mystère du lieu, ce silence lourd d’histoires, tout ce vide qui appelait aux fantasmes et de rêves.

Le gardien arriva enfin. Il portait un pantalon de survêtement bleu marine et un t-shirt blanc. Son corps ruisselait de sueur. Il venait de terminer son jogging, il avait abandonné l’hôtel puisque personne n’y venait jamais. Il n’arrêtait jamais la télévision. L’homme était mince et musclé, la trentaine. Les gouttes de sueur glissaient sur sa nuque nue, il souriait. Il parlait très mal anglais mais suffisamment pour comprendre ce qu’elle voulait. Une chambre, calme, pour plusieurs jours.

La clef était longue et lourde. A présent, elle parcourait le long couloir circulaire à la recherche de sa chambre. Les portes des chambres étaient massives et blindées, certaines avaient été forcées. La moquette absorbait tous les bruits et avait la couleur du vin. Elle pensa qu’elle était seule dans l’hôtel.

Une femme de ménage passait chaque matin, mais jamais elle ne la voyait. Simplement quand elle regagnait sa chambre la jeune femme découvrait que les serviettes avaient été changées et le verre dans lequel elle buvait son café, lavé.

Elle devait commencer son ménage tôt le matin. Ouvrait toutes les portes, aérait les chambres. Elle glissait une cale sous la porte de secours pour faire entrer un peu d’air frais dans cet univers confiné. Ensuite elle disparaissait, les portes des chambres restaient grandes ouvertes, comme pour attendre des visiteurs. Mais personne ne venait, à part peut-être des fantômes.
En fin d’après midi elle repassait et refermait les portes de fer.

Ce matin là, seule la chambre numéro 518 était ouverte. L’intérieur était parfaitement rangé comme à l’accoutumée. La paire de chaussons prêts à être enfilés, les serviettes blanches à portée de main, les deux verres en attente de quelques feuilles de thé vert. Quelqu’un s’était-il annoncé ? Mais quand la jeune femme repassa après son déjeuner, la lourde porte de fer avait déjà refermé son secret.

Le lendemain matin, alors que vêtue d’une robe de chambre légère, elle se rendait au bout du couloir chercher un peu d’eau chaude à la fontaine pour son café, elle s’aperçut que la porte de la chambre était à nouveau ouverte. Si personne ne l’occupait, à quoi rimait de l’aérer, de créer autour d’elle cet espèce de rituel, vain et pour le moins étrange ?

Devant le seuil, elle s’arrêta puis d’un mouvement vif, pénétra dans la chambre, enfila les chaussons, saisit les deux verres, replaça les chaussons et s’enfuit dans sa chambre, les deux verres serrés contre sa poitrine.
Elle savait pourquoi elle avait agi ainsi. Elle avait envie de déranger cet immobilisme qui de jour en jour l’oppressait. Elle avait envie que quelque chose se passe. Le premier acte était joué.

Elle oublia l’incident durant le reste de la journée et la nuit dormit d’un sommeil paisible. Elle fut réveillée par la lumière ensoleillée du jour qui se glissait dans la chambre à travers l’ouverture de rideaux trop rapidement tirés. Huit heures, il était temps de se lever. C’était le matin qu’elle était le mieux, calme, lavée des souvenirs passés. Légère aussi. Le ventre plat.
Juste envie d’un café et le monde était devant vous, en train de se réveiller lui aussi, éternel et honnête. Oui, le matin, rien de mal ne pouvait arriver.

En chemise de nuit cette fois-ci, elle marchait dans le couloir en direction de la fontaine. Ses pieds nus s’enfonçaient dans la moquette bordeaux, une odeur de renfermé flottait.

La porte de la chambre 518 était déjà ouverte. Elle s’arrêta. Les chaussons étaient à leur place, les serviettes immaculées pendaient dans la salle de bain. Les deux verres dérobés la veille avaient été remplacés par deux autres exactement semblables. Installé dans le fauteuil, il y avait un homme.

Il dormait, la bouche grande ouverte, la nuque renversée en arrière, les jambes raides. Il était totalement immobile. Un homme, la quarantaine, des cheveux noirs et courts. Son visage ne comportait aucune rondeur. Sa mâchoire saillait, ses pommettes tiraient la peau vers le haut, son nez était court, légèrement relevé. Son cou, épais et rigide avait une nervosité chevaline. Les mains croisées sur la poitrine, il dormait sans un souffle, plongé dans un profond sommeil.

Enfin ! Pensa-t-elle mais déjà ses pas l’entraînaient vers la fontaine.
Soudain elle se ravisa, elle était passée trop vite.
Elle eut envie de le revoir.
De l’observer de plus près, lui l’étranger qui ne semblait sortir que la nuit et se cacher le reste de la journée. Elle se dirigea vers le rectangle de lumière dessiné par la porte ouverte.

Il n’y avait plus personne dans le fauteuil. Les chaussons étaient à leur place, les deux verres renversés sur le plateau, les serviettes parfaitement pliées.
Rien n’avait changé.

28 mai
Nous vivons tous les quatre dans une chambre d’hôtel qui est aussi la salle de classe des enfants et le bureau de Bruno.
Paul et Zoé préparent un nouveau devoir pour le CNED, le Huitième.
Paul a mal aux genoux car il travaille « à la coréenne », c’est à dire assis sur un coussin, les genoux repliés.
Le soir, nous sortons les couettes et les enfants dorment sur le sol.

29 mai
Elles s’appellent Daria, Sandy, Marie-Thérèse, Hélène. Elles ont toutes un prénom occidental parce qu’elles sont chrétiennes. Elles sourient, elles sont très bien organisées. Elles font preuve d’une énergie décuplée. Elles ne tiennent pas en place, enchaînent une activité après l’autre. Pas le temps de rester à table pour discuter (ou digérer !) que déjà, portable collé à l’oreille, elles prévoient le prochain rendez-vous.
Elles conduisent et se garent à merveille, elles se connaissent entre elles parce qu’elles fréquentent les mêmes associations, la même église.

Elles ne sortent pas avec leur mari, chacun mène sa vie de son côté. Eux sortent entre hommes et passent la soirée à boire dans les bars, elles pic niquent sur une natte après avoir pris une leçon d’anglais ou de cérémonie du thé.

Elles ont abandonné leur travail à la naissance de leur premier enfant. Elles l’ont choyé pendant qu’il était petit, maintenant il va au lycée, elles le conduisent en voiture. L’enfant gâté prend du poids plus que de raison.

Elles n’arrivent pas à dire non à leurs enfants et leurs maris sont absents. Elles ne sont pas jolies avec leur grande bouche aux dents puissantes, leurs cheveux courts et bouclés, leur corps trapu. Elles ont de gros bras pas forcément musclés, elles portent des pantalons, très rarement des robes. Elles s’habillent simplement, un polo sans manche et un pantalon, des chaussures plates, parfois un timide talon.

Elles n’hésiteront par contre pas à se poudrer le visage de blanc, quitte à paraître (à nos yeux) un peu moins belles et à se parfumer, oubliant qu’il faut avoir la main légère. On voit bien qu’elles essaient de se mettre en valeur, peut être l’ont-t-elles vu dans un magazine, mais le savoir-faire n’y est pas encore. Leurs parents vivaient des produits de leurs champs, paysans endurcis qui se contentaient de peu.

Elles ont le cœur sur la main et possèdent le don d’offrir, ne serait-ce que quelques fruits coupés ou une barquette de tomates cerise. Leur générosité passe par la nourriture. Elles sont attachantes parce que simples et sans manière. Elles s’excusent de la mauvaise qualité de leur anglais mais au bout de quelques jours leur timidité s’estompe et déjà elles font des progrès. Nous ne sommes pas meilleures qu’elles, il faut leur dire, je crois.

Sandy me dit que nous sommes les premiers Français qu’elle rencontre, pourtant elle a déjà voyagé, en Australie, en Chine à Taiwan. Elle est partie seule avec son fils, sans son mari. J’aimerais bien l’inviter en France, elle aurait tant à découvrir. Sa soif de connaissance est puissante. Par quoi commencerais-je si je devais lui servir de guide ? Par la cuisine, sans doute, accès premier à la culture d’un pays. Elle apprendrait vite car elle intelligente.

Douma est plus fine, plus âgée, plus directe aussi « give me your hand ! » me dit-elle à la fin d’une cérémonie du thé. Je m’exécute, elle glisse à mon poignet les hanses d’un panier et me demande de la suivre jusqu’à sa voiture.
C’est cela la Corée, une manière directe (certaines diront brutale) d’aller vers les gens, d’aborder la vie.

Cérémonie du thé

Cérémonie du thé en compagnie de mes nouvelles amies. Une véritable initiation.

2 juin
Nous quittons la Corée. Jon, en hôte fidèle nous conduit à l’aéroport.
Aujourd’hui, il pleut.
L’avion décolle à l’heure, rien à faire il faut partir (je pense « quand tu aimes il faut partir »).

J’ai le cœur triste car j’ai beaucoup aimé la Corée.

Là- haut dans le vaste ciel, je regarde la terre coréenne s’éloigner et je pense que c’est le pays le plus coloré que je n’ai jamais vu. Coloré par tous ces toits bleus, ces forêts, la mer. Coloré par ses containers à Busan qui de haut ressemblent à de gigantesques constructions en Légo, coloré de toutes les couleurs des jeux d’enfants, couleurs primaires à l’image des Coréens. Je me demande quelle sera la couleur du Japon.

Je suis triste de quitter la Corée parce que nous n’y sommes pas restés assez longtemps. Même pas eu le temps d’aller à Séoul où j’étais pourtant invitée, juste eu le temps de prendre quelques habitudes dans la « old down town » d’Ursan, de se faire quelques copines parmi les mémés du marché et quelques amies coréennes.

Depuis la Chine, on voyage trop vite. Les rencontres se font dans l’instant, sur une journée. Je n’ai pas le temps de retourner l’invitation par une soirée de cuisine française ou une petite lecture de poésie, cela aurait pourtant tant fait plaisir à Daria.

Je n’ai pas le temps de commencer à tisser un réseau. Si je cherche du travail, pour où commencer ? Je m’aperçois qu’il faut du temps, si pierre après pierre la maison se construit, moi j’en suis encore à chercher le terrain...