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2005 : Trincomalee, Sri Lanka

L’épreuve du tsunami

dimanche 2 juillet 2006, par Sylvie Terrier

Savez-vous que bibliothèques autour du monde a failli ne plus jamais paraître !

Le 26 décembre 2004, toute notre famille se trouvait à Trincomalee, au Sri Lanka. Avant de regagner l’Inde du Sud comme nous l’avions prévu, nous nous sommes arrêtés trois jours dans l’île pour les fêtes de Noël.

Une heure avant le tsunami

Les enfants et moi étions sur la plage quand le tsunami est arrivé. D’abord des petites vagues puis soudain la plage a disparu sous l’eau. Nous avons couru, couru. Rien d’autre à faire pour sauver notre vie. Habillé ou en pyjama, pieds nus, de l’eau jusqu’à la taille, sans nous retourner.

Nous avons eu beaucoup de chance parce que le tsunami est arrivé sur l’Ile a 9h30 du matin et que nous étions réveillés. De nuit, ce raz de marée nous aurait été fatal. Ceux qui sont restés dans les maisons sont morts parce qu’elles se sont effondrées sur eux. Ceux qui n’ont pas couru assez vite ont été noyés. Les enfants isolés n’avaient aucune chance de s’en sortir vivants.

Derrière la vague, le désastre. Elle avait emporté tout le sable de la plage. A la place un grand trou. Nous avons alors passé trois jours à fouiller les décombres, à déplacer des plaques de béton, à creuser le sable, à chercher sur des centaines de mètres carrés nos affaires dispersées. Perdus nos 3 ordinateurs portables, toute notre collection de DVD, perdu les bijoux, les vêtements, les passeports des enfants, les billets d’avion, l’appareil photo... Perdu la mémoire de quatre mois de voyage... Mais nous étions saufs.

Nous n’avons pas souhaité être rapatriés en France. Nous sommes rentrés à Singapour. Pour nous reposer, pour commencer les transactions avec l’Assurance, pour racheter ordinateurs et matériel informatique, pour nous faire renvoyer les cours du CNED des enfants.
Au bout de deux semaines l’essentiel du matériel était racheté, les disques durs restaurés, le moral excellent. Nous sommes partis à Malacca en Malaisie.

Nous sommes retournés à Sri Lanka un mois et demi plus tard. Nous avions envie de retourner sur les lieux et de découvrir cette île jardin que nous n’avions fait que traverser dans des conditions dramatiques. Nous voulions aussi remercier les amis qui nous avaient aidé et hébergé, nous leur rapportions quelques petits cadeaux.

L’île n’avait pas changée, Colombo était toujours infernale et paralysée par les embouteillages, par contre les organisations internationales d’aide avaient occupé le terrain et les prix commençaient à grimper. 90% des hôtels étaient vides, les touristes avaient fui l’île, les gens se plaignaient, même dans les terres reculées ils avaient subi les méfaits du tsunami...

A Trincomalee, les banglows où nous avions séjourné et qui avaient été entièrement détruits étaient déjà reconstruits, avec l’aide et la débrouille locale, en attendant le dédommagement de l’assurance qui tardait à venir ou peut être ne viendrait jamais. Ironie du sort, un couple d’européens et leur petit garçon occupaient déjà l’un des bangalow. L’enfant était nu et jouait innocemment avec les gravats. La mer tranquille miroitait, ils semblaient en parfaite harmonie avec lieux.

Vie à la fois cruelle et magnifique, qui semblait en cet instant ne pas avoir conservé de mémoire.

Le tsunami n’a pas épargné les bibliothèques de Trincomalee. La vague est entrée dans les bâtiments et a emporté les rangées de livres les plus basses, sans toutefois tout détruire.

Il y a trois bibliothèques dans cette ville d’environ 30 000 habitants (certainement beaucoup plus, les chiffres réels sont impossibles à trouver), située sur la côte est, zone de la guerre entre les Tigres tamouls et l’armée sri lankaise.
La ville, très étalée vit de manière désordonnée. On voit des vestiges de maisons détruites ou incendiées et les nombreux camps de réfugiés dont bon nombre ont été détruits par le tsunami sont maintenant hébergés sous des tentes. De majorité tamoule, la ville est peu supportée par le gouvernement Sri lankais qui préfère investir dans les villes du sud ou prospère le tourisme ou des villes commerçantes comme Kandy au centre de l’île.

Ce que l’on peut dire des bibliothèques du Sri Lanka et de Inde en général, est qu’elles font partie des infrastructures de base d’une ville. Bien que les moyens financiers manquent, on trouvera toujours une salle, très modeste ou l’on pourra gratuitement et librement lire les journaux. Le journal est le minimum culturel, l’information , une liberté.

A Sri Lanka on trouve des journaux en langue cinghalaise, tamoule et anglaise, les trois langues parlées sur l’île. Le tamoul a été reconnu comme langue officielle en 1966. Ces salles de lecture sont bien fréquentées et ouvertes tous les jours sauf le lundi (jour de repos du bibliothécaire ou de l’employé de service).

De part sa position de ville moyenne, Trincomalee possède trois bibliothèques, ou plutôt, une bibliothèque divisée en trois établissements distincts :
- La bibliothèque des journaux et des périodiques
- La bibliothèque de prêts, adultes et enfants
- La bibliothèque de référence

Old library

La bibliothèque des journaux et des périodiques. On l’appelle « Old Library », c’est la première bibliothèque de Trincomalee, elle a ouvert le 5 novembre 1835. C’était à l’origine une bibliothèque coloniale qui comptait 500 livres et 34 abonnés. En 1946, elle est devenue bibliothèque publique.

Ouverture : tous les jours sauf lundi, y compris le dimanche, de 9 à 19h 30 sans interruption.

C’est un bâtiment gris, recouvert de tôles de ciment qui forme une fois que l’on se trouve à l’intérieur une seule grande pièce en forme de L. Le mobilier est extrêmement modeste : une table où sont posés les périodiques, une autre pour les journaux, une rangée de tables et des fauteuils de bois, deux grands pupitres. Une forêt de néons est suspendue au plafond, ainsi que deux grands ventilateurs. Pour faire un petit courant d’air, une porte de bois ouverte sur la mer bleu turquoise.

Rien de plus. Cette bibliothèque est un lieu où règne le dénuement et le silence. Une dizaine de lecteurs s’y succèdent de manière continue.
Les journaux sont présentés sur deux grands pupitres, on les lit debout au rythme des vagues régulières qui viennent frapper le rivage. Six titres de journaux, dans les trois langues du pays.

Les périodiques sont fixés sur une plaque de carton pour en faciliter la lecture. De petit format, ils contiennent des extraits de romans, des recettes de cuisines, des faits divers et sont illustrés de dessins en couleurs. Les trois langues sont également présentes.

- La bibliothèque de prêts
Cette bibliothèque a ouvert ses portes en 1987. C’est une belle bâtisse de deux étages avec jardin. En 1990, elle offrait à ses usagers une collection de 5000 ouvrages.
Elle abrite aujourd’hui, un fonds de 30 000 livres (moins à mon avis).

Bibliothèque de prêts, Trincomalee

On y trouve aussi les bureaux des fonctionnaires, 13 personnes en tout dont une bibliothécaire chef que je rencontre. Cette belle femme en sari rose me reçoit et je lit une grande lassitude dans son regard. Elle ne parle pas bien anglais, mais heureusement, j’ai rencontré dans la « Old Library » un homme charmant à la retraite, très érudit qui fréquente tous les jours la bibliothèque. Il parle bien anglais, il m’offre son temps et sa gentillesse.

La bibliothèque de prêt est ouverte tous les jours, y compris le dimanche de 9 à 12 heures et de 15 à 18 heures. Elle ne contient que des livres, le prêt est de trois ouvrages par personne.

Il n’existe qu’une seule grande salle où sont regroupés toutes les collections de livres. Cette salle est strictement divisée en deux parties : à droite, la section en langue tamoule ( + 1 petite étagère en langue Cinghlaise, car nous sommes en zone tamoule) à gauche la section en langue anglaise. Les livres sont très serrés sur des étagère disparates et sans fond, on les dirait prêtes à s’effondrer et semblent n’être retenues que par le poids des livres.

Des collections disparates

Des étagères pour les enfants, les plus basses sont placées à l’avant, quelques noms d’auteurs sont fixés sur des morceaux de carton, on peut lire : Enid Blyton, Snoopy. Puis on repasse chez les adultes : James Hadley Chase, Arthur Hailey, Barbara Catland.
Les documentaires sont vieux et obsolètes, classés selon la classification Dewey.

En fait, on trouve de tout, même des livres en large vision mais tout est extrêmement vieux, en mauvais état et disparate. De part et d’autre de la porte d’entrée, les livres détruits par le tsunami finissent de se décomposer.

Au premier étage , la bibliothèque des enfants. Ouverte le samedi matin seulement, de 9 à 12 heures. Une seule armoire fermée à clef remplie de livres brochés très dégradés. Les enfants viennent lire sur place, des petites tables et des chaises dépareillées les attendent.

C’est une bibliothèque bien triste en vérité et peu fréquentée. La bibliothécaire le confirme, les moyens donnés par la municipalité sont maigres, le public démotivé, la conservation difficile (il fait humide et chaud, les livres ne sont pas couverts, il n’y a pas de politique d’acquisition ni de désherbage, un livre est sur les rayons pour la vie), sans oublier que la ville se trouve dans une zone tamoule et par conséquent peu supportée par le gouvernement.

Le budget total pour les trois bibliothèques le confirme : 150 000 roupies par an, soit 3000 euros, à dépenser en une fois dans une librairie de Colombo.

- La bibliothèque de référence
C’est la bibliothèque la plus récente. Elle se trouve au centre ville en face de la poste. Le fonds de référence se trouvait autrefois au premier étage de la bibliothèque de prêt mais l’espace manquait, alors il a été déménagé dans un nouveau bâtiment, une construction de plein pied, entouré d’un beau jardin.

Heures d’ouverture : tous les jours y compris le dimanche de 8h30 à 18 heures, fermée le lundi. Un fichier manuel permet d’effectuer les recherches.

A l’intérieur de grandes tables pour travailler et des chaises. Le long des murs, les collections de documentaires, classés selon la classification Dewey. Dans cette bibliothèque également la division est très nette : à gauche, les documentaires en langue tamoule, reliés de bleu, à droite les documentaires en langue anglaise, colorés et non couverts. Tous les livres sont conservés dans des armoires fermant à clef mais largement ouvertes.

Au plafond de gros ventilateurs tournoient, l’ambiance est à l’étude. Quelques adolescents sont assis, absorbés par leur travail.

Les livres d’informatique ont pour les plus récents trois ans, mais il existe un fonds documentaire pour chaque domaine de connaissance. Celui sur les mathématiques est particulièrement complet.
« Les acquisitions se font à la demande des étudiants et nous avons un comité de sélection », me dit le bibliothécaire. Ainsi pas de dépense inutile, chacun de ces livres aura son utilité. Il n’existe pas de revues professionnelles.

Mon vieil érudit hoche de la tête. Lui qui fréquente si assidûment ces lieux a bien remarqué que les jeunes lisent de moins en moins et qu’ils viennent à la bibliothèque uniquement pour préparer leurs examens. Une lecture utilitaire pour faire face à la compétition (il existe un fonds important pour la préparation des examens d’entrée dans les universités où la langue anglaise est exigée) à l’opposé d’une lecture pour acquérir de la connaissance et de la culture. Il a aussi remarqué que la langue anglaise est en perte de vitesse. Une perte pour la démocratie et la liberté d’expression puisque cela se joue au profit de la langue cinghalaise. La traduction des ouvrages prend du temps, la sélection des ouvrages traduits peut très vite prendre la forme d’une censure et d’un appauvrissement intellectuel.

Il sourit. Il sait très bien que ses paroles ne changeront pas le cours des choses et qu’il vit dans un autre temps, mais sa pensée est libre lui qui envers et malgré tout reste attaché à son île, lui qui refuse de rejoindre son fils docteur en psychiatrie aux Etats Unis...

Une seule et même adresse pour les trois bibliothèques :
Public Library
Koneswara Road
Tincomalee Sri Lanka

Il n’y a pas de guide du lecteur, pas de numéro de téléphone et encore moins d’E mail !

Trincomalee paraît vraiment à but de souffle et au bout du monde, affaiblie par la guerre et les conflits politiques. Il faut cependant bien considérer que mon observation concerne spécifiquement cette ville et que l’on ne peut la généraliser à l’ensemble des bibliothèques de Sri Lanka.

Pour finir, sachez que la bibliothécaire, Madame N. Girindran, accepterait avec plaisir des dons de livres en anglais de tous niveaux et pour tout public, mais veillez bien à ce que cette opération n’engage de sa part aucun frais en retour.

Sigiria, au centre de l ’île