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2022 : Niki, l’oubliée la retrouvée

Exposition Toulouse : Les années 80-90, l’art en liberté

mardi 8 novembre 2022, par Sylvie Terrier

Niki,

Je t’ai rencontrée à l’adolescence et je t’avais perdue ces dernières années, happée par un travail anesthésiant qui insidieusement a effacé une grande partie de ma créativité.
Et puis je t’ai retrouvée cet automne à Toulouse.
En fait, tu ne m’avais jamais quittée, têtue et affranchie du temps comme tu sais l’être, tu t’étais soigneusement accrochée dans un pli de ma mémoire, attendant sans doute que je me réveille.

L’exposition toulousaine s’intitule "Les années 80-90, l’art en liberté". Une salle est consacrée à ta grande oeuvre, le jardin des tarots... A 20 ans, je suis partie jusqu’en Toscane à la recherche de ce jardin, comme une amoureuse poursuivant un amour impossible. J’ai planté ma tente tout près du jardin, effrayée par des gros chiens qui en gardaient l’accès. Le jardin était ceinturé de grillages, déjà des formes sortaient de la végétation, je me souviens de la femme sphinx, bleue, toute scintillantes de miroirs. Des ouvriers travaillaient sur le chantier. Gentils, ils m’ont ouvert les grilles. J’ai déambulé dans le jardin, ahurie, stupéfaite de me trouver là, seule dans ce jardin extraordinaire.
Aller jusqu’au bout de ses rêves.

En ce mois de novembre, je te retrouve. Toi morte, moi vivante et à nouveau stupéfaite d’entrer si facilement dans ton imaginaire, tes couleurs laquées, ton insensée folie des grandeurs, qui racontent.
Que tu es une femme libre (et belle et riche, ô les photos de toi en noir et blanc)
Que tu es une femme engagée
Que tu aimes tous les arts, les animaux, les mythologies du monde
Que tu n’as pas suivi d’école, seulement ton imagination et que l’inspiration ne t’a jamais manquée
Que femme, tu t’es beaucoup battue
Que l’art t’as permis de guérir et de renaître et par la même de vivre.

Car aujourd’hui, je découvre autre chose sur tes photos. Un regard triste, une bouche tendue qui semble refuser de s’ouvrir, un visage pâle et creusé. Que veux-tu dire ? Qu’exprimes-tu au-delà de ce que tu nous donnes à voir ?

A l’âge de 64 ans, tu dévoiles dans un livre autobiographique dessiné ce qui s’est passé. Avec ton écriture de serpent tout en arabesque, tu graves à l’encre noire l’horreur.

Ce livre est présenté dans une salle du musée. Déplié comme un codex, je le lis pour la première fois. Sur la couverture rose fuchsia tu as dessiné une tête de mort. En jaillit un bouquet de fleurs multicolores. Rose comme un sexe ouvert, noire comme la mort. Et la vie qui fleurit.

Tu as intitulé ce livre Mon secret.

Tu racontes. L’été des serpents, ton père te viole à l’âge de 11 ans. Tu n’oses en parler à personne, tu es terrorisée, ta vie s’effondre. Tu t’instales dans la peur des hommes, de l’agression, tu te replie, tue te tait, ça finit mal, en hôpital psychiatrique. Pour ne pas dire, tu te mords la lèvre supérieure, tu t’attaques à toi même, exprimant ton dégout, tu t’abîmes.

C’est l’art qui t’a sauvée. Le tir à la carabine, le sang qui gicle, ta revanche. Tu vas encore plus loin, ton art devient ta folie salvatrice, la reconnaissance qui s’ensuit te permet de sortir de l’ombre, de retrouver confiance en toi. De victime tu deviens une icône.

Niki, tu as été avant-gardiste, féministe, écologiste, écrivain (tes journaux dessinés). Tu as lutté par l’art, tu as rendu les objets aimables, et pas seulement uniques et chers. Tu as fait rentrer l’art dans les maisons, dans les jardins publics, tu as même inventé un parfum pour financer de manière autonome la création du jardin des Tarots. Tu t’es battue pour que l’on parle du sida, de l’amour, du racisme, de l’inceste.

Je ne peux que t’exprimer mon extrême admiration et te remercier.

Niki, femme que rien n’arrête.
A présent je ne te lâcherai plus, je me remets dans tes pas, je place mon regard dans l’infinité des miroirs de la vie.

" Moi je montrerai. Je montrerai tout. Mon cœur, mes émotions.
Vert - rouge - bleu - violet. Haine - amour - rire - peur - tendresse. " Niki