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2020 : JMG Le Clézio, initiateur de littérature et d’écriture

Une biographie jusqu’au prix Nobel

lundi 7 décembre 2020, par Sylvie Terrier

- JMG Le Clézio, de quoi avez-vous besoin pour vivre ?
A cette question posée par un journaliste en 1969, JMG répondait : « Il doit y avoir beaucoup de soleil pour moi, c’est une chose indispensable… Et des paysages assez beaux pour que l’on puisse garder confiance en la vie ».

Impossible alors de ne pas penser à Nice, ville de mer et de soleil où naît l’écrivain le 13 avril 1940. Une enfance passée dans le village de Roquebillière. Un père d’origine britannique passionné par l’Afrique, une mère native de Bretagne, des ancêtres mauriciens. Rien d’étonnant alors que sa vie s’écrive et se pose au gré des voyages et des continents.
- Je suis toujours en fuite ou en poursuite. Je ne flâne jamais. Je ne vis que d’émotions.

Émotions travaillées, mûries, qui passent par l’intérieur et ressortent sous la forme d’une écriture fluide, libre, inspirée. Des phrases courtes, nourries d’adjectifs, qui vont à l’essentiel de l’être, de la vie. Une plume sensuelle, limpide et sublimée, ronde comme un galet poli par les vagues de la Méditerranée.

« Ce pain trop blanc, trop doux, qui sent trop bon, cette huile de poisson qui coule dans ma gorge, ces cristaux de gros sel, ces cuillerées de lait en poudre qui forment une pâte au fond de ma bouche, contre ma langue, c’est quand je commence à vivre. Je sors des années grises, j’entre dans la lumière. Je suis libre. J’existe. Ritournelle de la faim, 2008.

Tout commence lorsqu’il embarque à l’âge de six ans en compagnie de sa mère et son jeune frère à bord du Niegerstrom, un cargo qui relie l’Europe au Nigeria pour retrouver son père qu’il ne connaît pas. Curieusement, l’enfant préfère s’enfermer dans la cabine plutôt que s’installer sur le pont. Dans la torpeur d’un voyage qui n’en finit pas, il écrit deux petits textes, Un long voyage et Oradi noir.

En terres africaines, l’enfant découvre la liberté, la marche pieds nus et comment se protéger de la morsure des fourmis rouges. Le récit de cette enfance africaine donnera Onitsha, 1991 puis L’Africain, 2004.

De retour à Nice, JMG est admis à l’âge de dix sept ans en Lettres Supérieures et renvoyé d’Hypokhâgne. Il s’intéresse alors au dessin, à la peinture. Fréquente assidûment les salles de cinéma et en particulier le Club Jean Vigo, sur les hauteurs de Nice.

« Au moment d’en parler, il me semble éprouver encore l’espèce d’impatience qui s’emparait de nous, avant la projection, tandis que le présentateur, fiches en main, faisait l’historique de ce qui avait inspiré, porté et mis au monde le film que nous allions découvrir. La séance terminée, nous étions lâchés dans la nuit, au sommet d’une colline. Il n’y avait plus de bus et peu d’entre nous disposaient d’un moyen de locomotion. Commençait alors la longue descente vers la ville, durant laquelle nous parlions avec emportement, parfois avec justesse, de ce que nous avions vu, de ce que nous avions vécu. Des flirts parfois s’engageaient entre garçons et filles, des amitiés se resserraient. Dans les rues désertes, les discussions se prolongeaient, au pied d’un immeuble, sur une place Il y avait des contrôles de police (c’était à l’époque troublée de le guerre d’Algérie, des société secrètes marxistes). Je me souviens d’incidents étranges, de rencontres imprévues. D’une certaine façon, le cinéma était entré dans nos vies, nous avait transformés ».

Il explore tour à tour plusieurs genres littéraires, poésie, roman, essai philosophique ou historique. Mettant à profit sa double allégeance française et anglaise, il se rend en Angleterre en 1959 et se fait recruter comme professeur de lettres à Bath. Son inscription à l’Université de Bristol, pour présenter une licence d’anglais se solde par un échec.
En 1964, il soutient un mémoire en vue d’un Diplôme d’Étude Supérieure à l’université d’Aix-en-Provence sur le thème « La solitude dans l’œuvre d’Henri Michaux ».
La notoriété le touche très jeune. A l’âge de 23 ans, il obtient le prix Renaudot pour Le procès verbal. Un roman écrit en quatre mois dans le sous sol du Café de l’Univers, établissement niçois en bord de mer. Un choc dans le milieu littéraire où l’on parle de « Lyrisme attentatoire ».

A partir de ce prix, JMG ne fait plus qu’une chose écrire et voyager. En particulier au Mexique où il s’installe de 1970 à 1974 avec les indiens Emberas et Wounaans. Cette expérience amérindienne qui se prolonge dans d’autres lieux comme les Michoacàan et le Nouveau Mexique, lui inspire La guerre, Haï et Les géants. Il vit à Jacona, au pied du volcan Paricutin pendant une dizaine d’années. Il s’imprègne des mythes anciens, de l’histoire et des traditions amérindiennes. Les traductions et les essais comme Le rêve Mexicain, La fête chantée, Angoli Mala et Ourania, le texte Diego et Frida attestent d’une réelle emprise de Le Clézio pour l’imaginaire amérindien.

Il soutient une thèse sur le thème « La relation de Michoacàn » à l’Université de Perpignan. Il enseigne à l’Université du Nouveau Mexique à partit de 1977.

Le Sahara occidental dont sa femme Jemia est originaire lui inspire Désert, roman qui reçoit le prix Paul Morand en 1980 puis la publication d’un journal de voyage Gens des nuages.

Le Clézio se rapproche de l’île Maurice à la recherche de ses propres ancêtres, installés sur l’île depuis 1793. Cela donnera Le Chercheur d’or,1985 ; Voyage à Rodrigues, 1986, Sirandanes, 1988, La Quarantaine, 1995.

Enseignement, voyages, JMG et sa femme partagent leur temps entre le Mexique, Les États unis, la France et l’île Maurice. L’écrivain voyage aussi au Nigeria, en Corée et au Japon où il publie des traductions de textes sacrés Mayan.
Le Clézio écrit également pour la jeunesse, citons Lullaby,1980 ; Celui qui n’avait jamais vu la mer suivi de La montagne du dieu vivant,1982 et Balaabilou, 1985.

En 2008, il reçoit le prix Nobel de Littérature. Dans son commentaire de presse du 9 octobre, l’Académie suédoise salue « L’écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de l’humanité régnante ».

Ouvrir un livre de Le Clézio, c’est accepter de plonger corps et âme dans un univers transcendant et brûlant, c’est prendre le temps de regarder un enfant jouer avec l’écume, lever les yeux vers les étoiles la nuit, écouter le silence, marcher dans le désert. C’est accepter que le langage devienne musique. C’est réapprendre à respirer, comprendre que le beauté est partout, se mettre en vibration avec le chant du monde.

Extrait de Raga. Approche du contient invisible, 2006 : « Quand ils ont terminé tout cela, cette terre est à eux. Non comme s’ils la possédaient pour l’éternité, mais pour qu’ils en vivent et en jouissent. Cette terre leur a été donnée par les esprits des morts pour qu’ils continuent leur historie. Elle est un être vivant qui bouge et s’étend avec eux, leur peau sur laquelle passe les frissons et les désirs ».

Lire Le Clézio, s’imprégner de son imaginaire c’est plus que jamais découvrir l’œuvre d’un homme fidèle aux utopies et aux indignations qui, humblement, loin du monde bruyant, place la littérature à hauteur d’homme.