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2019 : Quatre saisons
vendredi 3 janvier 2020, par
Écrire comme les quatre saisons du cœur, l’attrait pour un lieu, une ville.
Première saison. Aimer une ville, avoir envie d’y habiter, d’y faire son nid.
J’ai décidé d’acheter un appartement dans une ville d’ Occitanie. Il se trouve en plein centre ville, en face d’une grande et belle place qui accueille un collège ainsi qu’une vaste gare routière. Les bus se mobilisent dès 7 heures du matin et disparaissent à 21h10. Les voitures une à une prennent alors position sur les emplacements laissés vacants. Au lever du jour, elles disparaissent mystérieusement. Dimanche tout est calme.
J’ai hésité devant un choix à faire. Celui de vivre en ville ou bien à l’extérieur, dans un village, pas vraiment à la campagne mais sur des terres viticoles.
Après de nombreuses visites, je ne me suis pas imaginée vivre dans une maison de village. De beaux villages de pierres pourtant mais privés la plupart du temps de commerces, de services, qualifiés du vilain nom de « villages dortoirs ». Je n’ai pas eu envie de faire des provisions, encore moins de devoir prendre ma voiture pour aller travailler. Je me rapprochais certes de la montagne mais je m’éloignais aussi de la mer.
J’ai donc choisi de vivre en ville, acceptant le bruit, le mouvement, la promiscuité. Et cela justifiait parfaitement mon souhait de me protéger de la solitude… De plus en choisissant la ville je m’offrais la possibilité de pouvoir à peu près tout faire à pied. Choix d’une vie imaginée au jour le jour, plus libre.
L’appartement se trouve à la jonction d’une avenue et d’une petite rue d’apparence tranquille. Le soleil inonde le salon une partie de la journée puis tourne et réchauffe les pièces côté rue, la cuisine et les deux chambres. Une exposition idéale, rafraîchie s’il le faut par une climatisation douce et silencieuse placée dans le salon.
Avant d’acheter, j’ai passé du temps lors de mes pauses déjeuner ou après le travail postée devant l’immeuble à observer. Le bruit de la rue et des bus, certes, la ruelle toujours calme, la façade décrépie et les balcons peu fiables, le tout nécessitant une bonne réfection. Mais à l’intérieur l’appartement est luxurieusement vaste, lumineux, artistiquement agencé. J’apprends que la fresque qui couvre le mur du salon est une interprétation d’Alice au pays de merveilles. Alice rentre dans ma vie. Je m’attache.
Je sais que cet appartement peut devenir un havre de paix et que aménagé selon mon goût, il pourra être « mon home ».
Août est arrivé, la chaleur, les fenêtres que l’on ouvre pour faire rentrer un peu d’air et de fraîcheur la nuit venue. Ouvrir les fenêtres et agrandir l’horizon, gagner encore de l’espace, respirer. De mon troisième étage dans un coin du salon je peux même apercevoir un petit rectangle de bleu, la mer.
J’aménage au minimum et profite de mes week-end pour aller à la plage ou entreprendre de longues randonnées dans la montagne avec mon compagnon. Nous bivouaquons, nous repassons sur des parties du chemin de Compostelle, mais de plus en plus souvent, nous traçons nos propres chemins. Nous sommes devenus des arpenteurs d’Occitanie, découvrant la ligne de partage des eaux entre océan et méditerranée, jouant à passer de l’un à l’autre, l’humide et le sec, les ruisseaux et les cailloux, les mûres juteuses ou sèches comme du lichen.
J’oublie, je m’éloigne de la ville pour mieux y revenir, pour jouir du contraste. Le silence dans la nature, dans la forêt peut sembler pesant, il est vite contredit la nuit par la présence d’insectes et d’animaux invisibles le jour. La nuit n’est que bruissements, grattements, remue-ménage furtifs.
Le retour à la réalité m’a rappelée quand des amis arrivant, je me suis rendue compte que mon appartement n’était pas prêt, qu’il n’y avait même pas un lit pour les faire dormir, que les livres se trouvaient encore dans les cartons, qu’il n’y avait ni table ni chaise pour déjeuner dans le salon.
Je me lance à corps perdu dans l’aménagement. J’élabore, je conçois, j’achète, je transporte, je dispose.
La nuit, allongée dans le salon sur un matelas posé à même la table, une antique table de fumeur d’opium, je suis comme la nuit dans la nature, j’écoute et perçois le moindre bruit.
La ruelle si calme le jour se réveille à partir de 19h. La musique commence vers 22h. Il fait une chaleur caniculaire dans les appartements exigus, les fenêtres s’ouvrent, les voix surgissent, s’emportent excitées par l’alcool et la bière. De l’autre côté de l’immeuble, côté cour, un chien aboie et gémit une partie de la nuit.
Et me voici à 2 heures du matin penchée à la fenêtre côté ruelle, à scruter, à écouter et c’est comme si un immense ventre s’ouvrait pour déverser ses entrailles. Je vois une voiture arrêtée et des jeunes gens appuyés à la carrosserie en grande discussion. Au niveau du bar en bout de rue, le bien nommé bar de l’Angle des jeunes femmes sont assises à même le trottoir en débardeurs blancs. Des rires et des voix africaines surgissent de l’appartement mitoyen, palabres que la nuit éclaire. C’est un mouvement puissant, transgressif, gras qui remonte et me met mal à l’aise.
Je ne me sens pas de ce monde et ce monde j’en suis sûre ne voudrait pas de moi. Je subis cette vie nocturne dont je retrouve les traces au matin, canettes de bières vides, déchets plastiques, mégots de cigarettes. Mais pour le reste, la ruelle s’est endormie, elle vit en rythme inversé, sommeille le jour et s’anime la nuit. Dommage, nous ne sommes pas des mêmes cycles.
Nuit à nouveau. Je suis allongée sur mon lit de fumeur d’opium et je ne dors toujours pas. Je guette les bruits de la ruelle, j’ai pourtant fermé fenêtres et portes et malgré cela il me semble avoir développé une sorte d’hyper acuité. Je perçois des cris, des voix d’hommes, de la musique. Je me lève et vérifie en me penchant à la fenêtre, oui ils sont bien là et les africains aussi. Ce soir ils ont invité une fille qui rit à gorge déployée. Il fait très chaud, la rue permet de gagner de l’espace, à l’occasion de commercer. Moi, je dispose de 94 mètres carrés pour moi seule. Et je n’arrive pas à dormir.
Je rêve d’un calme parfait, du silence absolu, étourdissant qu’offre la pleine nature. Oui, j’ai ce souhait de calme et de repos. Je suis en état de stress et tout m’atteint. Surtout je n’arrive pas à me laisser aller au sommeil. Ce bar, quelle verrue, ces logements misérables quelle misère, ces petits dealers, quel vil métier. Je me surprends à les détester. Et quand je passe en fin de matinée en voiture dans la ruelle ils sont encore là, au niveau du bar, un groupe de jeunes gens, debout ou adossés aux voitures. Ils ne bougent pas. Je ralentis, ils se poussent à peine. Je ressens violemment combien nous ne sommes pas du même monde, combien nous pourrions vite nous haïr, combien une méchante parole pourrait sortir facilement. Je n’ose pas les regarder et eux m’ignorent. Et nous habitons la même rue.
Je m’estimais ouverte d’esprit et capable d’une certaine tolérance. De part mes voyages autour du monde, l’expérience de l’autre différent me semblait acquise. Je me pensais prête pour une nouvelle aventure. Je suis entrée avec effroi dans la saison deux de mon histoire d’amour : la déception, le dégoût.
La troisième nuit à deux heures du matin j’ai téléphoné aux flics en faisant le 17. Une voix de femme m’a très vite répondu, après qu’un message automatique m’ait informée que mon numéro d’appel était enregistré. J’aurais même volontiers donné mon nom si elle me l’avait demandé. Apparemment elle savait. Ironie du sort, la ruelle se trouve à moins de cent mètres du commissariat. Je n’ai pas aimé sa réponse « on va voir ce que l’on peut faire ». Il me semble que néanmoins les bruits se sont calmés ou peut être ai-je sommeillé un peu. En tous les cas à 4 heures le bruit a repris. Musique, voix, cris. Comme des couteaux plantés dans ma tête. Blanche nuit.
Saison trois, la révolte.
Dimanche matin, la nuit est passée et c’est le calme espéré. Bleu du ciel, bleu Béziers.
Soudain, venant de nulle part s’est élancée une musique. De la musique classique, sortie d’une chaîne hifi d’excellente qualité. Orchestre puissant puis un chant, corsé, luminescent. Pavarotti dans toute sa splendeur. La rue remplie comme une outre, transfigurée par la musique du bel canto. Une touriste passant par là enregistre l’instant sur son téléphone portable.
Je suis levée depuis un moment mais tout de même il est à peine neuf heures et nous sommes dimanche, jour de trêve…
La musique ne baisse pas en puissance et dure une heure. Mais QUI se permet cela ? Je pense aux africains et me rajuste, aux voisins du rez de chaussée, impossible car en fait la musique vient de l’autre côté de la rue, de ce premier étage barricadé de plantes en plastique. Ils ont craqué les voisins d’en face. Ils ont voulu marquer leur désapprobation, répondre. La musique par la musique, en protestation.
Personne n’a appelé les flics, le quartier était sous le coup, pétrifié.
Après cet épisode, je suis partie loin une semaine, la Féria de Béziers s’est terminée, la canicule dissipée. Des appartements ont fermé, d’autres sont en cours de restauration. Le soir en rentrant j’ouvre grand toutes les fenêtres. J’entends un bébé pleurer, la rue vit sa vie, paisiblement. J’ai aménagé mon appartement, des amis sont venus, j’ai dormi dans un vrai lit, côté ruelle et je n’ai rien entendu.
Septembre s’installe. Une autre saison commence, le temps de l’apaisement.