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2019 : Le Carré d’Art de Nîmes
mercredi 3 juillet 2019, par
En ce 15 juin 2019 je me suis rendue au Carré d’Art de Nîmes pour une journée d’étude organisée par l’agence Occitanie Livre et lecture, la ville de Nîmes et le Ministère de la culture.
La journée s’intitulait bibliothèque et architecture. Elle a rassemblé autour de tables rondes et de présentations bibliothécaires, architectes et élus. Trois corps de métier qui interviennent conjointement dans tout projet de création ou réhabilitation de médiathèque mais qui ne disposent pas toujours de moyens/volonté /opportunité de travailler ensemble.
Dans ce blog « bibliothèques autour du monde », j’ai écrit sur les bibliothèques visitées lors de mes nombreux voyages. Aujourd’hui, je voyage moins, préférant le voyage lent de la marche. Compostelle en mai 2018 et aussi la découverte de ma nouvelle région de vie l’Occitanie entre mer et montagne. Et les bibliothèques dans tout cela ? Je me suis dit que mon nouveau monde pouvait être la France et qu’en attendant un prochain voyage lointain je pourrais partager mes découvertes françaises. Alors voila...
Le Carré d’art est un bâtiment emblématique dans la ville de Nîmes tout de verre, métal et béton conçu. Posé sur un plateau que l’on atteint en montant un immense escalier il fait face à la Maison carrée, édifice romain consacré au culte impérial.
Installé depuis 1993, le bâtiment est composé de :
- un musée d’Art contemporain
- un centre de documentation (du musée)
- une librairie
- une médiathèque classée
- un café/restaurant
Horaires d’ouverture de la médiathèque :
- Mercredi, vendredi, samedi : 10h-18h
- Mardi, jeudi : 10h-19h
Boîte de retour 24/24 ; Fermée le dimanche
Café/restaurant : du mardi au dimanche, 10h-18h. En saison du jeudi au samedi, 20h-01h
Musée d’art contemporain : du mardi au dimanche, 10h-18h
Intervention de Luca Lotti, architecte « Restructurer la bibliothèque du Carré d’Art »
Histoire du Carré d’Art : construction entre 1983 et 1993, précurseur d’un nouveau type de médiathèque, concept de « bibliothèque ville » qui s’inspire du modèle de la BPI. De ce fait le bâtiment est ouvert sur la ville, il en emprunte le vocabulaire, on parle d’espace public, de forum, de circulation, de déambulation... L’espace de circulation s’oppose à l’espace clos de la conservation des documents.
Ce projet de création a été porté par le maire de la ville de Nîmes, Jean Bousquet qui souhaitait mettre l’Art au cœur de la ville. 3 projets ont été retenus pour le concours d’architecte : Jean Nouvel ; Franck Gehry ; Norman Foster. C’est Norman Foster qui a été lauréat.
Entre 1983 et 2013, des difficultés de fonctionnement ont émergé, l’espace traversant n’a pas fonctionné. Le réaménagement a demandé 5 années de travail. Trois volets ont constitué le cahier des charges :
- Améliorer le bâtiment : l’accessibilité, l’éclairage, compléter le mobilier
- Améliorer et augmenter la fréquentation
- Réviser les horaires d’ouverture en proposant de nouveaux espaces
Les principaux axes proposés par l’architecte retenu pour la restructuration, Luca Loti, ont été les suivants : lisser les frontières entre les espaces, rapprocher les activités ; proposer une circulation plus intuitive, décloisonner ; rapprocher les espaces publics et professionnels ; rendre l’espace d’exposition lisible ; développer des interactions ; favoriser le numérique.
La bibliothèque est un espace de stimulation. Concept de Umberto Eco repris par Luca Lotti. Décrit ce que ne doit pas être une bibliothèque au profit d’un lieu où « l’on fait des trouvailles » , un lieu « où l’on trouve en cherchant, en se déplaçant ». Cite Patrick Bazin, ancien directeur de la BPI, nos bibliothèques doivent cultiver l’art du passage et pas seulement l’art du rangement. Ainsi le public est invité à flâner, prendre (perdre) du temps.
Intervention de Gilles Gudin de Vallerin, conservateur des bibliothèques « le chantier de rénovation de la médiathèque Émile Zola à Montpellier »
La rénovation s’étale sur 3 années, de 2019-2021. Insiste sur l’importance d’un programmiste. Faire évoluer un bâtiment, le rénover devrait « être inscrit dans tout projet architectural ». Objectifs de cette rénovation : intégrer une cellule image ; une salle de jeux vidéo ; un espace de médiation et de coworking ; une salle de cinéma ; un espace de jeux de table...
Il serait donc plus juste de parler de reprogrammation, essentiellement dédiée au numérique, en insistant sur la cohérence du projet ; l’appropriation du lieu par le public ; l’augmentation des inscriptions et des prêts. Tout en comptant sur les capacités d’agilité des bibliothécaires.
Conclusion de GGdV : « le livre n’est pas mort et les journalistes qui continuent à le dire disent des âneries »
Table ronde avec les architectes Françoise Sogno, Jacques Pajot, Cécile Cormory « Requalifier un bâtiment existant en bibliothèque »
Françoise Sogno : aménagement de bibliothèque dans des bâtiments qui n’en avaient pas au départ : présentation de la bibliothèque du Havre ; de la bibliothèque Jean Fausset ; de la bibliothèque du site culturel Oscar Niemeyer.
Mots clefs : relier le site à la ville ; introduire de la convivialité ; tracer des parcours favorisant la déambulation dans le prolongement d’un parcours urbain ; travailler le choix du mobilier.
Jacques Pajot : transformer des bâtiments religieux en bibliothèque et espace culturel. Quimper transformation du Couvent de la visitation en bibliothèque ; Carpentras restructuration de l’hôtel Dieu en bibliothèque musée.
Mots clefs : Créer du lien entre l’ancien et le contemporain ; faire preuve d’agilité ; faire preuve d’humilité et de respect vis à vis du bâtiment ancien, l’acte architectural doit être sensible et invisible « que les gens le pénètrent ». Aller dans le sens du bâtiment, comprendre ses atouts, la distribution des salles doit permettre la convergence.
Cécile Cormory : projet d’aménagement dans un ancien moulin à Auterive d’une bibliothèque, ludothèque, café des parents, musée des traditions. Pas de chef de projet ni de bibliothécaire pour porter le projet. Changement d’équipe à l’occasion des élections municipales. 5 ans de travaux.
Mots clefs : garder le cachet du lieu ; mettre aux normes ; donner une autre fonctionnalité, une autre image, d’autres habitudes sans oublier le passé. Pas de circulation possible à cause de l’architecture de départ mais beaucoup de fenêtres, rayonnages en périphérie, travail sur la lumière naturelle. Un espace de coworking a remplacé le musée qui s’est retiré du projet. Grand succès auprès du public. Présence aujourd’hui d’une dynamique équipe de bibliothécaires.
Conclusion : « On apporte des outils aux bibliothécaires ». Parole d’architecte. La question du dialogue (souvent difficile) entre bibliothécaires et architectes est une fois encore posée.
A quoi faut-il faire attention ?
- La réalisation d’un programme
- L’estimation financière du projet (elle est généralement sous estimée)
- La perte de mémoire des plans, DOE
- Les difficultés liées au chantier en milieu ouvert (la structure reste ouverte au public).
- L’étude de faisabilité technique
- Inclure dans le programme le mobilier, la signalétique, la câblage informatique…
- Un bon programme impliquera un bon architecte (mais ceci reste difficile faute de moyen pour les petites communes)
- Importance de la coopération entre les différents métiers et la complémentarité des compétences.
Intervention de Odile Grandet, inspectrice générale des bibliothèques. Présentation de la mission « Aménagement intérieur des bibliothèques et commande publique »
Constitution d’un groupe de travail représentatif et « agile ». Cadre : commande publique. Synthèse :
- La séparation entre construction et aménagement intérieur ne fonctionne pas (exemple Brest ; Cherbourg)
- L’aménagement intérieur ne passe pas par le catalogue UGAP
- La maîtrise d’ouvrage doit définir ce que le bâtiment va être pour le public et aussi pour les professionnels qui vont l’habiter
- La réussite d’un projet passe par la programmation. L’aménagement intérieur doit y figurer, il doit faire l’objet d’un module spécifique : acoustique, lumière, mobilier, signalétique... Affirmation d’une cohérence. Participe à la logique du bâtiment, à son usage et par la même à son appropriation par l’humain.
- Qu’il s’agisse d’une création ou d’une réhabilitation, le passage par la programmation ou reprogrammation est préconisée.
- Il est intéressant d’intégrer des usagers dans le groupe de travail.
- La programmation ne fait pas partie de la formation des bibliothécaires. Et les architectes ne sont pas formés à l’évolution des bibliothèques !
- L’organisation : les acteurs sont nombreux et viennent de corps de métiers très différents : il est nécessaire de nommer un chef de projet et de mettre en place un suivi, COPIL, COTEC...
Intervention Renault Calvat et Bruno Vatan, élus « Concevoir ou repenser des bâtiments hybrides »
Présentation par R.Calvat de la réhabilitation du château de Bocaud en médiathèque, à Jacou (Hérault). La réhabilitation est souvent complexe, il est plus facile de bâtir du neuf. Rassemble mairie et médiathèque. Joue le rôle de place publique avec son jardin réaménagé (il n’en existe pas dans cette ville de 7000 habitants). Les espaces racontent l’histoire du lieu, participent à l’identité du lieu, il faut en tenir compte dans la réhabilitation ; important travail sur le mobilier : flexible sans figer l’espace, adapté aux nouveaux usages numériques. A été dessiné spécifiquement par l’architecte ; travail collaboratif état et municipalité + Région Occitanie et BDP.
Présentation par B.Vatan du Pavillon blanc à Colomiers, médiathèque centre d’Art Pavillon blanc (ouverture 2011) : 6 ans de travaux, participation de l’équipe au projet ; bâtiment hybride. Deux directions mais une seule équipe de médiation. Aujourd’hui la structure cherche un nouveau souffle.
Table ronde avec Isabelle Boisson, élue ; Joseph Almudever, architecte ; Michel Etienne bibliothécaire, directeur de la médiathèque de Nîmes « Transformer les bibliothèques en équipements culturels de proximité ».
I.Boisson : présentation du projet de création d’une maison de services dans l’ancienne mairie à Sumène (Cévennes). Après consultation de la DRAC et DLL le projet a été modifié. Travail sur la circulation, la lumière. Plus de barrière entre la bibliothèque et les autres services dans le bâtiment. Intervention d’étudiants en design, emploi de mobilier de récupération. Projet collectif, intervention des commerçants, mutualisation des énergies, « tout Sumène vit à l’heure de la maison de service ».
J.Almudever : présentation de différents projets.
Tarascon : salle de spectacle, office de tourisme, locaux archives, médiathèque, salle d’exposition
Mazamet : dans une ancienne friche, pas d’argent « la seule manière de s’en sortir c’est la culture » : salle de spectacle, médiathèque, atrium, salle d’exposition
Médiathèque de Castelmaurou : le concept de tiers lieu a orienté le programme ; recherche de circulation entre salle de conférence, médiathèque, jardin fermé et jardin d’hiver
Médiathèque de Le Fauga (réhabilitation d’un bâtiment délaissé) ou comment réaliser une médiathèque avec 40 000€ et un plan tracé sur une feuille A4.
Conclusion de Valérie Travier, DRAC Occitanie.
Travailler ensemble, Contractualiser autour d’un projet global, penser agile.
On arrête de parler de tiers lieux (tout est tiers lieu aujourd’hui), on préfère parler aujourd’hui de « bibliothèque ville ».
Voila la journée se termine, il est temps de prendre un peu de recul. Je me rends sur le toit du Carré d’art où a été aménagé un café restaurant. La vue est splendide sur la ville ancienne et la maison carrée. Le café se nomme joliment « Le Ciel de Nîmes ». Un anglais se régale d’une coupe de champagne, une jeune fille d’un jus d’orange pressé. Venir ici c’est échapper au fourmillement des lycéens installés partout dans la médiathèque pour réviser leur bac. Le public et les jeunes en particulier se sont emparés du lieu, je retrouve ici l’ambiance de l’OBA, Openbare Bibliotheek Amsterdam.
J’ai aimé ce concept de la bibliothèque ville où la déambulation est facilitée, un peu comme dans un centre commercial (!). L’escalier central distribue les espaces, aspire la lumière de l’atrium vitré (sauf dans les bureaux des bibliothécaires en sous sol, les plus mal lotis). J’ai apprécié la porosité entre intérieur et extérieur, la libraire boutique au rez de chaussée, l’espace d’exposition. Je me suis sentie à l’aise et libre dans cette médiathèque où l’on ne me demande rien, où je chemine à ma guise, choisissant mes angles de vue. Oui, j’en aurais volontiers oublié de prendre mon train de retour...