Bibliotheque Autour du Monde

Accueil > Marcher sur les chemins, un autre voyage > 2019 : Le Chemin d’Arles, du Rhône à la Garonne (1)

2019 : Le Chemin d’Arles, du Rhône à la Garonne (1)

première partie

samedi 27 avril 2019, par Sylvie Terrier

17 mars. Arles.
Le chemin commence à Béziers. Vingt heures, il fait nuit noire en ce 17 mars 2019. Personne dans les rues, comme si l’heure du couvre feu avait sonné. Pleurs d’enfant derrière les persiennes, hurlements de femme emprisonnée dans son délire éthylique. A la gare c’est une meute de jeunes garçons livrés à eux mêmes qui gesticulent, énervés d’ennui.
- Vous n’auriez pas une cigarette ?
Me demande le plus jeune. Il doit avoir à peine douze ans.

Dans le train l’ambiance change. Des étudiants jeunes et beaux, bien habillés, saturés d’écrans et de téléphones portables. Ma place est occupée par une jeune fille écrasée de sommeil qui dort sur sa tablette, la tête entre les mains. Je n’ose pas la réveiller et m’installe sur un siège vacant de l’autre côté. Petit bonjour à ma voisine qui commence ses révisions de chimie. Gros bouquin, trousse, taille crayon. Elle en veut.
Une petite fille remonte le couloir du train accompagnée de sa maman. Elle me sourit, des oreilles de lapin plein la bouche.

Moi je me sens libre, détachée de ces préoccupations familiales et étudiantes. Ah !ma voisine prépare des pompes !

Arles, arrivée à 22h. Le dimanche soir au mois de mars, Arles ressemble à Béziers, c’est une ville morte. Pas de café ouvert ni âme dans les rues, hormis un ou deux passants pressés de rentrer chez eux. Le mistral souffle et me pique les yeux. Rien d’autre à faire que de gagner le gîte. Dans la salle à manger, une jeune fille est assise, dos tourné, plongée dans la lecture d’un livre. Elle ne détourne pas la tête. Je tente néanmoins un bonsoir. Je découvre son visage bronzé, visage de ceux qui ont passé des jours à marcher dehors. L’échange n’ira pas plus loin. Le lendemain matin elle le confirmera, elle revient de Saint Jacques, partie d’ Arles en hiver et revenue au point de départ. Demain, elle remonte sur Paris. Son visage me hantera pendant des jours sur le chemin.

La chambre est minuscule, juste la place pour deux petits lits, une chaise. J’ai hâte de me mettre en chemin demain.

18 mars. Arles/Saint Gilles, 20 km
La chambre est exiguë mais la vue magnifique sur l’amphithéâtre romain. Couleur dorée du jour qui se lève par la fenêtre, vent têtu et lycéens, seuls arpenteurs de la ville encore endormie.

Départ de la cathédrale Saint-Trophime puis recherche du pont du Rhône. Rien ne laisse présager qu’Arles est le départ du chemin, pas d’accueil, pas de coquille, il faudra vraiment fouiller les murs et les pierres du regard pour trouver le premier signe, une coquille jaune à onze branches.

Pigeons blancs et vent malin sur le pont du Rhône. Je mets mes gants et mon bonnet. Notre chemin suit le canal, chemin piétonnier surélevé en prévision des risques de crue. Le printemps déploie ses membres engourdis par l’hiver. Florilège de verts et chatons nacrés. Premier pic nic dans l’herbe, il fait chaud nous avons l’impression que l’été est arrivé.

Ensuite la route reprend toute droite. Campagne camarguaise parfaitement plate, nous sommes au point zéro de l’altitude. Je pense au plateau de la Mezzeta sur le camino frances en Espagne.

Arrivée à Saint Gilles, son impressionnante abbatiale. C’est ici que devrait démarrer le chemin ! A commencer par la présence dans la crypte du tombeau de Saint Gilles, celui qui délivre de la peur, des maladies et protège les enfants, le doux Saint à la biche vénéré par les pèlerins depuis le XII eme siècle venus de toute l’Europe. Rien à voir avec Arles qui reste avant tout une capitale romaine.

19 mars. Saint Gilles/Vauvert/Gallargues, 30 km
- J’ai tout nettoyé, installez-vous où vous voulez, vous êtes mes seuls pèlerins, je vous attends sur les marches de l’abbatiale pour une visite.

Paroles de Hugues, l’hospitalier de Saint Gilles. Un peu trop pressant et plein de sollicitude. Des années qu’il fait l’hospitalier à Saint Gilles et de nous prévenir. Attention aux voleurs, on voit de tout ici ! Ce qui ne m’empêchera pas d’ouvrir les volets pour avoir un peu de lumière et apprécier la belle vue sur la place rénovée. Saint Gilles en arrivant me fait immédiatement penser à Béziers, ville pauvre, remplie de gosses et de vieux rifains bonnet de laine sur la tête, regard empreint de nostalgie. Les enfants jouent et crient, les hommes pissent sur les pierres ancestrales, Hugues le déplore mais revient à Saint Gilles chaque année. Une pause rafraîchissante dans sa vie routinière de retraité. Tiens je me rends compte que j’aurais dû prendre une photo.

Poursuite du chemin sur une route qui longe le canal et coupe le territoire en deux, l’Espagne et le taureau vers l’ouest, le cheval et l’Italie vers l’est. Des haies de roseaux fluides bordent les enclos. Commencent ensuite de vastes plantations d’arbres fruitiers. Pêchers en fleur rose cyan et vergers, pas très rassurants les panneaux phytosanitaires qui indiquent le danger des traitements...

Le mistral nous a pris à Arles et ne nous lâche plus. Il courbe les câbles électriques et dessine sur la surface du canal des petites vagues à crête d’écume. A l’approche de Vauvert nous traversons une forêt de pins, un peu de liberté dans ces parcelles clôturées où paissent les chevaux. Ils ne sont pas vraiment fins ces chevaux camarguais, solides sur leurs jambes, adaptés à résister au vent qui ébouriffe leur crinière sauvage. Ils viennent vers nous en quête d’affection et de caresses.

A Gallargues, nous logeons dans une ancienne école maternelle et c’est Josiane qui nous accueille, tout sourire. Trois clefs pour un gîte de havre et de paix. A nouveau nous sommes seuls, à nouveau je regrette de ne pas avoir pris une photo de Josiane qui déjà disparaît de ma mémoire.

20 mars. Gaillargues/Vendargues/Montpellier, 23 km
Le chemin emprunte l’ancienne voie romaine, un chemin efficace qui aujourd’hui longe l’autoroute. Le monde ancien et le monde contemporain se juxtaposent, se côtoient, se racontent : d’un côté les champs fleuris, les chevaux, les taureaux, de l’autre l’autoroute avec son flux sifflant de camions et de voitures.

A six kilomètres de Vendargues, c’est un paysage sauvage de garrigue qui rompt la dichotomie. Forêt de chênes verts, végétation dense et épineuse, touffes d’iris nains posent des touches de couleur violette et jaune sur le sol desséché.

Rencontre de Marc, un énorme sac à dos arrimé sur les épaules. Il rentre à Montpellier après trois jours de marche, trois jours de jeune. A mon questionnement sur le volume et le poids de son sac, lui qui dit dormir à la belle étoile et ne pas manger, il rétorque :
- Je fais cela chaque année, j’aime souffrir, j’aime faire souffrir mon corps.
Une manière de se sentir exister ?

A Vendargues, nous prenons le bus pour rejoindre Montpellier. Pas envie de marcher dans la banlieue. Mes bâtons m’embarrassent dans le bus, mon sac et moi occupons toute une banquette, et puis ensuite dans le tram le problème ne se pose plus puisque je reste debout, serrée contre les autres passagers qui ne disent mot.

L’accueil pèlerin de Saint Roch est comme une île dans la ville, un lieu coupé du monde et c’est Jocelyne qui nous accueille, son pull rouge, sa peau diaphane et sa voix douce. Montpellier le soir, ou l’opulence de la grande ville, ses cafés, ses restaurants, une offre multiculturelle, une foule grouillante. Place de la Comédie nous nous arrêtons pour un apéro avant le repas. Tout bouge autour de nous, les discussions fusent, le travail, le fric, les transactions « je lui pisse à la raie ». Serveur stressé et méprisant qui lâche un « enfin » quand après avoir siroté notre apéritif pendant semble-t-il trop longtemps, nous passons commande de notre dîner.

21 mars. Montpellier/Saint Guilhem, 32 km
Pour quitter Montpellier, nous prenons à nouveau le tram jusqu’à l’arrêt Eurosciences. Nous découvrons ainsi quantité de bâtiments universitaires, d’entreprises, d’enseignes technologiques. Montpellier fidèle à sa réputation. A notre grande surprise, nous sortons facilement de la ville. Retrouvons la nature, les forêts de pins, la garrigue. Un ancien chemin de fer débarrassé de ses voies mais pas de ses pierres pointues nous bousille les pieds. Puis vient le fleuve Hérault et ses gorges taillées dans le calcaire qui longuement très longuement nous mène jusqu’au village de Saint Guilhem plongé dans un sommeil d’hiver.

Il est 19h, la nuit est tombée et j’attends assise sur le seuil, que Régine nous ouvre le gîte.
- Je suis en intervention
19h30, Régime arrive, cheveux gris, frange clairsemée. Elle aide. Elle n’est pas vraiment infirmière mais elle accompagne. Pose le tampon sur notre crédencial, range le chèque dans une pochette en plastique. Bientôt soixante dix ans, dit-elle et de nous inviter à son anniversaire sans nous donner d’avantage de détails.

22 mars Saint Guilhem/Lodève, 37 km
- Nous sommes sept !
Elle dit cela d’une voix assurée et ses mots claquent dans la sacristie. En entrant dans l’abbaye de Saint Guilhem ce matin à 8 heures précises j’ai trouvé les sept sœurs carmélites en prière silencieuse. Six sœurs se sont évaporées sans un mot et j’ai compris que la seule qui restait était la sœur principale à qui je me suis adressée. A ma demande elle a tamponné mon crédencial et je suis ressortie triomphante.

Nous quittons le village encore plongé dans l’ombre et commençons la première ascension de la matinée. Une montage sèche de calcaire blanc, un sentier efficace tracé avec soin. Une fois sur le plateau, c’est toute la vallée qui se déploie jusqu’à la mer, jusqu’aux Pyrénées. Cette géographie pour moi encore inconnue me fait crier de joie quand je reconnais dans le lointain les terres rouges du lac de Salagou.

Ensuite le sentier emprunte les pistes forestières, l’herbe y est tendre, les arbres majestueux. Les pierres elles-mêmes ont changé, elles sont devenues plates, nous dévalons et c’est en courant que nous arrivons à Lodève, les yeux pleins de lumière.

Poussés par une irrésistible envie de boire une bière fraîche, nous trouvons à « l’épicerie à manger », une bière blonde de Bédarieux, délicieuse et glacée et trinquons à la joie de notre performance. Quelques courses et nous voici prêts à rencontrer Bruno notre logeur, qui sms après sms nous fait patienter.
- Bah vous êtes trop chouettes, à toute à l’heure...

Il arrive à toute allure sur un mini vélo électrique, cheveux et barbe hirsute. S’excuse à peine et nous invite à rentrer chez lui.
Chez Bruno c’est un joyeux bazar d’objets, d’huiles essentielles et d’idées, sa vie ressemble à un chantier perpétuel, mais il est vivant et même si nous avons l’impression de l’avoir eu comme hôte (nous cuisinons pour trois), nous passons en sa compagnie une excellente soirée. Le lendemain il nous fera visiter sa maison écologique aux murs de paille remplis de chaux, son jardin suspendu et tout en haut sur le toit, une chambre. La chambre de Princesse pour celle qui un jour viendra...

23 mars. Lodève/Lunas, 22 km
Nous avons pris le temps ce matin, profitant de cette courte étape. Marché paysan, tampon à l’office du tourisme (Bruno n’en ayant pas), petite flânerie dans les rues animées de Lodève qui semble être une ville pleine de ressources et d’ initiatives citoyennes.

Marche lente et simple, traversée de belles forêts de pins et cèdres du Liban, puis champs très verts débroussaillés (comment, voir plus loin). L’envie du pic nic nous prend, la faim déjà au creux du ventre. Arrêt à l’abri d’une petite chapelle de pierre.

- N’ayez pas peur, mon fils et moi on fait de l’écobuage
Il se dresse devant nous en pantalon militaire. L’écobuage au chalumeau c’est la première fois que je vois cela, les bruissons de ronces enflammés volontairement, les champs qui commencent à brûler en arc de cercle incandescent, les genêts qui crépitent. Une technique radicale pour gagner de nouveaux pâturages.

Après la chapelle nous revenons sur nos pas et empruntons un GRP, un sentier de randonnée régional balisé jaune rouge et nous le regrettons. Le sentier labouré par les sangliers, serpente entre les châtaigniers de bois mort et les pierres acérées. La nature de ce côté de la montage est à l’arrêt, en mort d’hiver.

Pour finir l’étape, trois kilomètres de bitume. Le village de Lunas hiberne en ce lundi de printemps. Aucun commerce ouvert mais pas moins de huit ponts pour enjamber les trois cours d’eau, le Gravezon, le Nize et le Saint Georges qui descendent des vallées cévenoles.

Heureusement il y a Gilbert qui nous accueille au gîte de Redondel. L’hébergement est spartiate, nous sommes seuls à nouveau.
- Je vous ai fait une bonne soupe !
Il est de belle humeur Gilbert et ses mots chantent. Après la soupe maison, une omelette aux champignons. Et pour le dessert des fruits, simplement.

24 mars. Lunas/Saint Gervais, 29 km
Petit déjeuner copieux avant de prendre le chemin le long de la rivière qui mène à Saint Martin sur Orb puis grimpe dans de lumineuses châtaigneraies. Mais le plus beau reste à venir, Gilbert nous avait prévenus :
- Vous allez voir des pins splendides, droits comme des i
Pins de Corse, pins du Liban, pins à longues aiguilles, épicéas géants, la forêt nous transmet force et énergie. A travers les trouées des coupes nous reconnaissons la montagne du Carroux et dans un nid de verdure, loin très loin dans la vallée le village de Saint-Gervais.

Au col de Layrac je reconnais l’endroit, nous y sommes passés lors d’une précédente randonnée. Du coup le chemin me paraît long. Les cailloux me font mal aux pieds. J’en oublie d’apprécier le parfum anisé de gros buissons en fleurs à l’orée du village.

C’est Marion qui nous accueille à Saint-Gervais, son sourire, sa voix claire.
- Avec plaisir !
Marion s’occupe de nous avec soin, le petit gîte ne sera que pour nous. Impression d’être comme à la maison, dans un vrai appartement, presque trop confortable pour le chemin. L’envie nous prend de rester là et de jouir de quelques jours de repos mais non, demain nous repartirons, l’allégresse retrouvée car miracle la nuit comme à son habitude aura tout réparé.