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2018 : De Ronceveaux à Compostelle, l’accomplissement (2)
samedi 7 juillet 2018, par
7 avril
Ce soir une seule adresse pour manger, boire et dormir. Pauvreté de ces villages aux églises fermées, riches de quelques nids de cigognes immigrées. Échanges multilingues et puis, trop tôt, viendra le temps de se coucher, de sombrer dans un profond sommeil. Je me réveille à 5 heures parce que je n’ai plus sommeil et que je me sens toute neuve. Oui comme à chaque fois le miracle se produit, je suis réparée...
Longue longue route aujourd’hui jusqu’à Burgos, sous une météo de pluie. Demain devrait être meilleur mais la route sera toujours droite et longue. Nous sommes sur le plateau de la Meseta. Les habitués du chemin disent qu’à partir de Burgos jusqu’à Leon, s’étend l’épreuve psychologique. Celle-ci dure 8 jours. A partir de Leon, commence la route spirituelle qui finit en apothéose à Compostelle. Ha je me surprends à souhaiter brûler les étapes ! Et puis je me ravise, non chaque étape EST le chemin.
Et vous que faites vous ce week end, car le week end approche, moi j’ai un peu perdu la chronologie des jours.
Le chemin parcouru me paraît déjà bien long mais je m’aperçois que le chemin a parcourir l’est aussi. Vous avez déconnecté, n’est-ce pas le but du chemin ? Pour ma part, week end calme à récupérer d’une lourde semaine de travail. Je suis là.
8 avril
Je crois n’avoir jamais marché ainsi, 17 km de route rectiligne, sans aucun relief à part quelques arbres. Il faisait beau, suffisait de lever le nez, tourner la tête vers l’est et alors se dessinaient proches et lointaines à la fois, les montagnes pyrénéennes. Bientôt, elles disparaîtront à leur tour et ce sera le chemin nu et droit, le long de la route nationale.
9 avril
Ce matin en quittant l’auberge municipale, la neige nous a saisi. Nous sommes arrivés à l’étape trempés. Avons un peu hésité à l’intersection, entre le chemin tracé le long de la route nationale agrémenté de petites villes ou bien la voie romaine qui annonçait un seul gîte et un simple poêle à bois. Nous avons choisi le pôle à bois et nous avons bien fait. Quel bonheur que cette étape, quel accueil ! Quant au village, quelques maisons de torchis, une seule épicerie ouverte à partir de 16h, un seul café. Impression de bout du monde. Je ferai ici mes plus belles photos de personnage.
Le soir je reste seule auprès du feu que j’ai chargé à bloc. Je vous écris et je vous envoie cette magnifique chanson d’Arthur H dédiée à sa mère : La boxeuse amoureuse. Je me sens tendre ce soir et j’ai envie de douceur.
10 avril, Mansilla
Avons repris le chemin dans le froid et la pluie. En quelques minutes je suis trempée, mon poncho dégouline, l’intérieur est froid et mouillé, il ne me protège pas. De la casquette, la pluie dégouline sur mon visage, mon nez coule, eau et morve se mélangent et glissent jusque dans mon cou. C’en est trop. D’un coup de colère, j’arrache ma cape et la jette au sol. Puis je me tourne vers le ciel et invective Saint Jaques.
- Saint Jacques envoie nous une éclaircie, ne nous laisse pas tomber !
Soudain miracle, un trou de ciel bleu se dégage au dessus de nous, la pluie cesse, le paysage lavé s’apaise, la lumière revient. Merci O mon Saint...
11 avril, Leon
Je m’inquiète, je ne reçois plus de message de vous. Que se passe-t- il ?
Je suis pourtant toujours là !
Ha j’ai compris pourquoi je ne reçois plus vos messages, ils sont considérés comme des spams, quelle mauvaise manipulation ai-je donc faite ? Je suis bien contente d’avoir réglé ce problème.
Donc aujourd’hui, courte marche de seulement 20 km. Départ sous le givre mais le ciel était clair et le soleil nous réchauffait. Arrivée à Léon, la cathédrale, les places, les auberges, nous avons envie de les essayer toutes et de rester ici quelques jours mais non le chemin reprendra demain,
Nous ne nous arrêterons donc jamais. C’est un peu fou de consacrer tout ce temps à marcher, passer toutes ces heures à mettre un pied devant l’autre. Je considère cela comme une occasion unique de faire à travers cette longue expérience physique, un cheminement mental et intérieur. Bonne fin de semaine, je pense fort à vous.
Effectivement, je ne comprenais pas le problème de mails mais c’est à présent réglé. Je vous admire de ne pas résister à la tentation de rester plus longtemps dans les endroits qui vous plaisent. J’avoue que je n’ai pas ce tempérament. Mais je pense que pour moi le chemin serait plus important que le but. Peut être est-ce encore un des enseignements de l’Afrique où l’on a tendance à profiter du moment, ne sachant pas quand va arriver le but. Je pense que je me serai lassé aller à ce plaisir immédiat de cette ville attrayante...
Non , ce n’est pas fou de faire cette route, vous y prenez du plaisir, cela vous rend heureuse, vous réalisez un désir qui vous tenait à cœur, moi je trouve cela beau... Je suis là.
12 avril
Je suis heureuse de me sentir à nouveau reliée à vous.
Le chemin est une histoire qui s’écrit chaque jour et c’est la lente approche vers un but, Compostelle. J’ aime bien cette avancée, me dire chaque jour que j’ai réussi l’étape. Se reposer, manger, boire et être heureux. Dormir et le lendemain, s’apercevoir que toute la fatigue est partie. C’est une satisfaction, un encouragement à poursuivre. Je ne pense pas refaire ce chemin, il y en a tant d’autres à découvrir. Quant à la boxeuse amoureuse, dont je me sens si proche, j’espère oui j’espère ne plus avoir besoin de combattre, même avec des mains trempées dans l’or liquide...
Je pense fort à vous.
Ça se sent que cette histoire de chemin vous rend heureuse. Le rythme vous convient et vous y prenez plaisir. Profitez-en je souhaite que ce genre de défi soit le seul combat que vous ayez à mener. Je suis là.
13 avril, Astorga
Belle marche aujourd’hui, avons retrouvé la montagne et la terre rouge, un peu comme en Afrique équatoriale. Les jambes au bout de 3 semaines ressentent la fatigue. Demain ascension du col El Ganso à 1030 mètres. Le temps était à la grêle et bien frais. Heureusement nous avons retrouvé la chaleur dans les tavernes espagnoles.
Des jambes un peu fatiguées, un temps frais et la grêle et devant vous un col à 1600 m, j’espère que ce soir la taverne espagnole sera particulièrement chaleureuse. Il n’est pas facile votre chemin... Faites attention à la grêle, cela peut faire mal.
Je suis là.
14 avril, Foncebadon
Ah la belle journée de marche à travers la montagne. Départ d’Astorga tôt et montée dans un paysage abîmé par des rangées d’éoliennes et des pylônes électriques. Je suis un peu déçue.
Le village de Foncebadon renaît lentement de ses ruines. Restent encore de nombreuses maisons effondrées, des tas de pierres éparpillés ; l’église se réduit à une simple façade maintenue dans un corset de fer. Le tourisme fera peut être renaître ce village, mais son âme semble envolée.
Ce soir nous logeons dans une auberge église. La possibilité de dîner sur place dépend du donativo (don d’argent) de la veille et par chance il y a eu des pèlerins hier soir au gîte ! Pietro nous prépare une immense paella au poulet et je doute que l’ensemble des convives présents autour de la table soient hébergés ce soir au dortoir mais le moment est convivial et très animé surtout après quelques bouteilles de vin.
Après les excès de la table, vient le temps de retraite et de la prière dans l’église où nous nous retrouvons, passant par une porte à l’intérieur du dortoir. Dans le froid mordant nous chantons et écoutons les lectures de Pietro, des mots que la plupart d’entre nous ne comprenons pas. Nos mains unies parlent pour nous.
Une auberge église, voilà un concept que je ne connaissais pas ! Je reste persuadé qu’une bonne paella peut suffire à célébrer la fraternité quelques soient les nationalités. Je suis là
15 avril
Après l’auberge église, le col de la Croix de fer à 1600 m d’altitude. Le brouillard nous a saisi au départ, puis les nuages bas, nous privant de la magnificence du paysage. S’ensuivent 1000 m de dénivelé pour gagner la plaine plus douce et chaude jusqu’à Molinaseca. Amandiers, mimosas, vignes nues de feuilles. Nous sommes arrivés à l’auberge municipale fourbus après presque 38 km de marche et une longue boucle inutile pour contourner la ville. Ce soir, nous réalisons que nous avons déjà parcouru 600 km, il en reste 300 avant Fisterra. Tout devrait bien se passer. Et vous ce dimanche, allez vous rêvasser comme vous aimez à le faire ?
Je vois que vous avez fait un bon bout du chemin. Oui vous avez raison, j’ai rêvassé aujourd’hui et encore pas vu le temps passer. Je suis là...