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2017 : Quand tu aimes il faut partir, 23ème voyage en Inde (3)
lundi 1er mai 2017, par
Junagadh
Ainsi nous arrivons à Junagadh, déposés en rickshaw au pied de l’hôtel Relief en cœur de ville. Expérience inouïe. Dans la chambre, la poussière a recouvert draps et taies d’oreiller, les draps semblent d’argile grise. Sur le coup je ne m’en aperçois pas car la chambre toute simple me semble propre. Mais quand je soulève l’oreiller, il laisse un grand rectangle blanc et ma main s’imprime sur le drap comme un pochoir.
Je presse JM pour découvrir au crépuscule la mosquée Mahabat Maqbara. Etonnante architecture avec ses minarets décorés d’escaliers en colimaçon.
L’endroit est déserté, la nouvelle mosquée peinte en vert et jaune semble une pâle copie. Un jeune garçon un peu agressif nous aborde, agacé par l’ennui. La ville, à majorité musulmane est un mélange d’ancien et de moderne, ruelles bordées d’échoppes et immeubles récents portant des noms pompeux, BAGERAZA palace, ZAMZAM Palace.
Ce soir, nous avons un peu de mal à trouver notre place. Sentiment d’indifférence. L’odeur de viande grillée nous attire, les marchands de brochettes réveillent nos papilles. Mais la viande n’est que morceaux de gras et même le Chicken tika du restaurant ne nous régale pas. Nous voulions prendre des forces, car demain nous gravissons le Mont Girnar, 10 000 marches avant d’atteindre le sommet.
Mont Girnar
Réveil à 5h45. Les matelas sentent l’humidité. Mauvais nuit, mal et pas assez dormi, malgré les bouchons enfoncés dans les oreilles qui ne protègent pas des klaxons intempestifs et des aboiements de chien.
Rickshaw jusqu’au site, le jour se lève à peine et déjà des grappes humaines s’élancent, dans la joie et l’excitation. Les porteurs se réchauffent les mains auprès d’un petit feu, pour eux il est encore trop tôt. Les marchands déballent leurs étals de nourriture et de breloques.
Montée dans la fraîcheur du petit matin, chacun à son rythme, chacun avec ses moyens. Pieds nus, sandales, baskets. Hommes, femmes, enfants, collégiens, jeunes, vieux, tous vont arriver au sommet. Premier palier à 4000 marches avec une série de temples jain. Là, surprise, une vache ! Touchée, adulée, une Sainte.
Après ce premier plateau commence une lente descente, encore des marches puis une rude montée jusqu’à un minuscule temple fiché au sommet d’un pic. Un brahmane nous accueille, l’œil sévère. Pas question de rester là, il fait un geste de la main, circulez, y’a du monde qui attend. Juste le temps de jeter un billet et voilà c’est fini, il faut déjà redescendre.
Retour vers midi dans la lumière brumeuse, pas faim, juste un peu soif. La descente est plus pénible que la montée, même si les marches sont douces et régulières. Je pense aux courbatures qui ne manqueront pas de se faire sentir dans deux jours. Pas envie de rester sur le site, la ferveur a disparu, les marchands rangent leurs étals, les pèlerins rentrent, leur mission est accomplie.
Douche à l’hôtel puis nouvelle plongée dans la poussière, le bruit, l’excitation de la fin de journée quand le soleil bascule. Pas envie d’un resto de rue, ni d’un thé. Envie d’un endroit chic. La chance nous sourit, excellent repas indien/italien dans un restaurant avec air conditionné, serviettes en coton, couverts luisants et serveurs stylés.
Retour dans la nuit. Nous repassons devant la mosquée Mahabat Maqbara. Ses minarets se dressent dans le ciel anthracite. Des chiens errants fouillent les ordures entassées au bord de la route, d’autres dorment incrustés dans la poussière, un rat s’échappe. Le restaurant n’était qu’une parenthèse dans la réalité indienne.
Avant de quitter Junagadh ce matin, nous partons à la recherche d’ Adi-Kadi, un vav naturel.
Creusé dans la pierre tendre, un long escalier descend jusqu’à l’eau verdâtre. L’endroit, désert, roucoule de chants de pigeons installés dans les niches naturelles. La pierre nervurée raconte l’histoire de l’eau.
Il faut 5 heures en bus pour rejoindre Una.
Je suis contente que ce mois de janvier compte 31 jours, comme une petite rallonge de bonheur.
Bus pour l’île de Diu, au soleil couchant. J’imaginais un long pont reliant le continent à l’île, il n’en est rien, nous passons sur l’île sans nous en rendre compte.
Diu
La nuit tout est laid en Inde, les objets perdent leur matière, deviennent indéfinissables. A Diu, l’alcool est autorisé. Dans les bars des européens efflanqués boivent et fument. La lumière des néons donne à leur visage un teint cadavérique. Laideur obscène, outrageusement réaliste.
Résister à la montée de la nausée. Penser à demain, au soleil, à la lumière.
C’est trop calme ici ! Personne dans les rues, à peine quelques coups de klaxons. Nous faisons le tour de l’île en scooter. Impression d’île déserte, presque d’ennui. La mer étale, les plages de sable, l’endroit idéal pour se reposer et faire le vide.
Saint Paul, Saint François, les églises racontent l’histoire de l’île, ancienne colonie portugaise. A Saint Paul, deux bougies blanches vacillent devant l’hôtel fréquenté par les pigeons, pas même un tronc pour laisser une obole.
Quelques ouvriers à Saint François en cours de restauration. La table de travail, les arcades bleues, l’église se pare de poésie.
Personne sur la route, seulement des bouteilles vides abandonnées sous les haut-vent. C’est au nord de l’île, dans les villages de pêcheurs que se trouve l’animation. Enfants rieurs et hommes au travail. Ils sont marins, réparateurs de bateaux, ils partent en mer la cale remplie de glace, ils nous accueillent, se laissent prendre en photo, plaisantent et rient, plantent leur regard noir dans nos objectifs.
1er février et perspective d’une belle journée à Diu. Nous aurions dû repartir aujourd’hui afin de respecter ce que j’appelle « la dynamique du voyage », mais poussés par la lenteur de l’île, nous nous octroyons une nouvelle journée à scooter.
Commençons le tour de l’île en sens inverse, par les villages de pêcheurs. Nouvelle route le long d’une rivière asséchée qui finit soudain en cul de sac. Je pars en repérage, tombe sur un vieux dans son jardin qui me confirme que nous pouvons rejoindre la route en traversant les champs.
Je me mets à courir sur le chemin, JM me suis, manœuvrant habilement le scooter.
- Y’a qu’avec toi que l’on fait des choses pareilles ! dit-il en riant. Je prends ses paroles comme un compliment.
Et puis la faim nous prend et l’envie de nous arrêter dans ce restaurant en bord de plage repéré hier. Ambiance ginguette, bière et whisky enchantent les cœurs, rassemblent les amis. Massala papad, pommes de terre au cumin, salade de tomates, tout est bon ici. Nous restons des heures, regardant à travers les feuilles un jeune homme ivre tituber sur la plage puis sombrer dans un profond sommeil. Quelques instant plus tard, ses amis viennent vers lui et le relèvent. On n’est jamais seul en Inde, même saoul.
En cette fin de journée, les sacs sont bouclés. Ce soir bus de nuit pour Ahmedabad. Allégresse du départ dans la nuit, les lumières, les cuivres d’une fanfare, les soubresauts du bus et puis l’endormissement, d’un coup.
- Ahmedabad ! Il lance son cri plusieurs fois dans le couloir du bus. Je dormais, les heures ont passé. Chaussures, sac et nous voilà dehors, pas le temps de réfléchir, le chauffeur de bus est pressé.
Ahmedabad
Nuit grise. Quelle heure est-il ? 5h30. Rickshaw ? En voici un qui s’avance, aux manettes un homme affable, la tête enroulée dans un cache nez. Hôtel près de la gare complet, le suivant propose une chambre confortable. C’est bouclé. Douche et petit somme avant de partir à la découverte d’Ahmedabad, capitale du Gujarat.
10h. La circulation a déjà commencé, dense, bruyante. Chai à l’angle de la rue, puis déambulation dans les rues. Lumière vive du matin, sous le soleil les cheveux roux flamboient, c’est le moment de la lecture du journal, des premières courses ou de l’attente.
Ahmedabad, j’y suis passée il y a dix ans. Je garde le souvenir d’une ville assommée par la chaleur, énervée par la surpopulation. Cette fois, il fait moins chaud, mais l’impression perdure, quartiers compressés ou avenues interminables, la ville grouille ou somnole le long des rives bétonnées. Nous marchons un peu hagards et ni l’ashram de Gandhi, ni la visite impossible du Calico museum, ni l’ambiance surchauffée du marché Manek Chowk, n’arriveront à retourner cette impression qu’Ahmedabad n’est pas une ville pour nous, que nous n’en avons pas les clefs, ni trouvé l’angle d’approche.
Nous sommes contents de quitter Ahmedabad pour Calcutta, dernière étape de notre voyage. Étrange impression de vide en arrivant à l’aéroport. Pas de taxi ni de voyageur, salle d’embarcation déserte. Je montre nos réservations à une hôtesse qui d’une voix impersonnelle me dit :
- Mam, the plane is gone
Nous avons raté l’avion ! J’avais mémorisé 10h40, le départ était à 7h40. Comment ai-je pu être à ce point sûre de moi pour ne pas avoir la veille pensé à vérifier l’heure du départ ? Acte manqué, pour une ville que je voulais quitter au plus vite afin de retrouver notre chère Calcutta...
Je sauve la situation en dénichant deux billets pour le début d’après-midi. Un vol direct qui nous évite de passer par Delhi et nous fera arriver presque à la même heure que prévue. Et en attendant, JM a une magnifique idée : retenter notre chance au Calico Museum, cette fois ci nous y serons à l’heure.
Le Calico Museum ? Premier musée textile de l’Inde et l’une des plus célèbres institutions de son genre dans le monde entier pour sa collection de textiles, patola, double ikat, broderie kutch, bandhini, block print…. La collection Calico est associée à la collection de la Fondation Sarabhai qui présente des bronzes, des objets d’art Pichhwais, jaïns, ainsi que des peintures miniatures indiennes.
Une institution élitiste, un sacerdoce pour pouvoir entrer, un règlement drastique, une guide antipathique. Seulement 20 personnes par jour peuvent pénétrer dans le sanctuaire avec inscription préalable via le site Internet, des jours voire des mois à l’avance. Je ne savais rien de tout cela... Mais notre art de la palabre et mes arguments appuyés auront finalement le dessus sur l’administration.
Calcutta
Calcutta enfin... Arrivée magique, tout fonctionne à merveille, le taxi à prix doux, la ville en liesse, l’hôtel Broadway et la plus belle chambre jamais eue. Le bar avec ses bières, ses salades de concombre et des french fries, cette ambiance unique qui m’enchante, fait monter en moi la petite fille joyeuse, éclatante de joie de vivre. Jouissance d’être là, en accord parfait avec l’endroit.
Pourquoi les choses ont-elles une fin et surtout pourquoi le savons-nous ?
Le bonheur devrait être éternel, à l’image du fleuve Hooghly au soleil couchant. Mais rien ne dure et alors me sautent au visage la dure réalité de l’Inde, la saleté repoussante des berges, les taudis qui s’effondrent le long de la voie ferrée, l’homme mort dans le caniveau, les relents d’urine et d’excréments.
La pauvreté est sans pudeur.
A l’ instant où l’esclave décide qu’il ne sera plus esclave, ses chaînes tombent. Gandhi
Ce dimanche, en ce dernier jour du voyage, c’est presque l’ennui qui rode dans les rues désertes de Calcutta, pas de circulation, pas même un rickshaw, boutiques aux rideaux tirés, arrêt de la vie grouillante. Cette nouvelle ville que je découvre, je ne suis pas sûre qu’elle me plaise vraiment. Tout comme les habitants des trottoirs, disparus eux aussi. Repoussés dans la périphérie.
Courses pour faire le plein de l’Inde, les graines magiques (j’en prends 4 paquets), l’encens, les épices (en sachet de cent grammes avec le nom marqué sur le paquet), les cardamones vertes, les bidees achetées directement au fabricant à l’entrée du new market. Et le cake à la cannelle farcis de fruits confits, le gingembre frais, les citrons verts.
Départ ce soir à 22 heures. Le taxi serpente à travers les véhicules, nous n’échangerons pas un seul mot. Après la saturation du centre-ville, de nouveaux quartiers poussent, immeubles modernes flanqués d’énormes panneaux publicitaires mettant en avant des concessions automobiles, c’est la partie business de Calcutta, première image de la ville lorsque l’on arrive de l’aéroport.
Aéroport, zone de non-lieu. Tous les aéroports du monde sont gris, couleur internationale.
Entrer dans cette zone c’est déjà quitter le pays. On se défait, on devient une toute petite chose, scannée, fouillée, déshabillée. Numérotée.
Et on attend. On espère que l’avion n’aura pas de retard parce que finalement, une fois que l’on est là, il n’est plus possible de revenir en arrière, c’est inéluctable, on va partir, on va quitter ce pays et peut être ne plus jamais revenir.